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Le Règlement relatif aux subventions étrangères : un nouvel outil juridique majeur pour assurer une concurrence loyale sur le marché européen

Par Marc Barennes, associé du cabinet bureau Brandeis Paris et chargé d’enseignement à Sciences Po ; ancien juriste à la Commission européenne et référendaire au Tribunal de l’UE

Au dernier jour de la présidence française du Conseil de l’Union européenne, le 30 juin dernier, ledit Conseil et le Parlement européen sont parvenus à un accord politique provisoire concernant le règlement relatif aux subventions étrangères faussant la concurrence sur le marché intérieur (ci-après le « Règlement Subventions Etrangères » ou « RSE »). Cet accord, qui devrait donner lieu à l’adoption d’un règlement d’ici la fin de l’année 2022, pourrait entrer en vigueur dès la mi-2023.

Le Règlement Subventions Etrangères constitue un nouvel outil juridique majeur visant à permettre à la Commission européenne de remédier aux distorsions créées par les subventions accordées par des pays tiers à des entreprises opérant sur le marché intérieur de l’Union européenne. Il se donne ainsi pour objectif d’assurer une concurrence loyale entre toutes les entreprises, européennes et non européennes, qui opèrent sur le territoire européen.

Pourquoi était-il nécessaire d’adopter le Règlement Subventions Etrangères ?

La Commission européenne, qui ne disposait de pouvoirs jusqu’à présent que pour contrôler si les aides octroyées par les Etats membres aux entreprises situées sur le territoire de l’Union européenne étaient compatibles avec le marché intérieur, se verra désormais également chargée d’examiner si les subventions octroyées par des pays non-européens aux entreprises opérant sur le marché intérieur ne faussent pas la concurrence (article 1er du RSE qui définit son champ d’application). Le Règlement Subventions Etrangères comble ainsi un vide juridique important dans l’arsenal dont la Commission disposait pour pouvoir exercer pleinement son rôle de gendarme de la concurrence. Il constitue également un instrument juridique particulièrement innovant, en ce qu’il emprunte ses règles à de très nombreux égards à celles applicables aux droits des marchés publics, des aides d’Etat, de défense des intérêts commerciaux et des concentrations.

La notion de subvention étrangère de nature à fausser la concurrence sur le marché intérieur, définie à l’article 2 du RSE, est particulièrement large et présente de nombreuses similitudes avec celle d’aide d’Etat, dont les contours ont été déjà bien définis par la jurisprudence européenne (voir, par exemple, les arrêts de la CJUE cités dans la Communication de la Commission relative à la notion d’aide d’Etat, publiée au JOUE du 16 juillet 2016). Une telle subvention résulte ainsi de toute contribution financière quel qu’elle soit, telle qu’une injonction de capital, un prêt, une garantie ou encore une incitation fiscale. Cette contribution doit avoir été accordée directement ou indirectement à une entreprise, au sens du droit de la concurrence, par un Etat non-européen, une entreprise étatique non-européenne, ou même une entreprise privée pour autant que cette contribution soit imputable à cet Etat (article 2.2. du RSE). Enfin, elle doit entrainer une distorsion de concurrence, au sens où cette subvention améliore la position concurrentielle sur le marché d’une ou plusieurs entreprises (articles 2 et 3 du RSE). Certaines subventions, telles que celles ne dépassant pas un montant de 4 millions d’euros sur une période de trois années sont considérées comme n’étant probablement pas susceptibles de fausser la concurrence (article 3(2) du RSE), tandis que d’autres, telles que celles accordées à une entreprise en difficulté ou consistant en une garantie illimitée des dettes sont considérées comme faussant probablement la concurrence (article 4 du RSE).

En cas de constat d’octroi d’une subvention étrangère, la Commission européenne doit alors procéder à un double examen consistant à, d’une part, rechercher si ladite subvention fausse la concurrence sur le marché, et, d’autre part, mettre en balance les effets négatifs de ladite subvention avec ses éventuels effets positifs, notamment au regard des politiques européennes (article 5 du RSE).

Quels sont les pouvoirs de contrôle de la Commission européenne au titre du Règlement Subventions Etrangères ?

Aux fins de protéger le marché intérieur de distorsions de concurrence résultant de subventions étrangères, la Commission européenne disposera de trois outils de contrôle.

Tout d’abord, en vertu d’un pouvoir général d’enquête, en cas de subvention accordée par un pays tiers à une entreprise opérant sur le marché de l’Union européenne, la Commission européenne pourra, de sa propre initiative ,après le dépôt d’une plainte d’un Etat membre, d’une association ou d’une personne physique ou morale, ou après une enquête de marché (articles 7,  33(a) et 34 du RSE), prendre toute mesure utile pour éliminer les distorsions de concurrence résultant de subventions étatiques étrangères.. A l’instar des pouvoirs dont elle dispose en matière de concurrence, la Commission européenne peut, dans le cadre de ses enquêtes, procéder à des demandes d’information (article 11 du RSE) et à des inspections sur le territoire européen (article 12 du RSE), mais également en dehors du territoire européen si l’Etat tiers s’est vu notifier cette décision de la Commission et ne s’y est pas opposée (article 13 du RSE). Dans le cas où une entreprise ne coopère pas avec elle et ne lui fournit pas les informations demandées, elle pourra prendre sa décision sur la base des faits dont elle dispose (article 14 du RSE). La Commission européenne ouvre donc, d’abord, une enquête préliminaire (article 8 du RSE), qui, si elle conduit à constater qu’il existe des indications qu’une subvention étrangère de nature à fausser la concurrence a été accordée, doit donner lieu à l’ouverture d’une enquête approfondie (article 9 du RSE).  La Commission européenne pourra notamment ordonner à l’entreprise ayant reçu des subventions étrangères de nature à fausser la concurrence de réduire son activité (article 6.3.(b) du RSE) ou ses investissements (article 6.3.(c) du RSE), de se séparer de certains actifs (article 6.3.(f) du RSE) ou de rembourser la subvention étrangère avec intérêts (article 6.3.(c) du RSE).

Ensuite, en cas d’opération de concentration (fusion, acquisition, création d’entreprises communes), dans laquelle l’entreprise acquise, l’une des parties à la concentration ou l’entreprise commune génère un chiffre d’affaires dans l’UE d’au moins 500 millions d’euros et l’opération implique une contribution financière étrangère d’au moins 50 millions d’euros au cours des trois années antérieures, cette opération doit être notifiée à la Commission (articles 19 du RSE). La notification aura un effet suspensif sur la mise en œuvre de l’opération de concentration (article 23 du RSE). En cas de distorsion de concurrence, la Commission pourra interdire l’opération de concentration, imposer des mesures correctives, accepter des engagements de la part des entreprises concernées ou dissoudre la concentration (articles 6.3.(g) et 24 du RSE).

Enfin, en cas de participation à des marchés publics d’une valeur de 250 millions d’euros ou plus, une entreprise qui aura reçu au moins 4 millions d’euros de subventions étrangères au cours des trois années antérieures devra en informer l’autorité contractante, pour que la Commission en examine l’effet sur le marché (articles 26 et 28 du RSE). Dans le cas où la Commission conclurait à une distorsion de concurrence, la Commission pourra interdire l’octroi du marché public à l’entreprise en cause, imposer des mesures correctives ou accepter des engagements (article 30 du RSE).

Afin de rendre pleinement efficace les nouvelles règles instaurées par le Règlement Subventions Etrangères, les infractions audit règlement seront sanctionnées lourdement, à l’instar des sanctions imposées en droit de la concurrence. Ainsi, la non-communication d’informations ou le refus de se soumettre à des inspections peut entraîner des amendes ou astreintes d’un montant allant jusqu’à 1% du chiffre d’affaires annuel de l’entreprise concernée et jusqu’à 5% du chiffre d’affaires quotidien par jour de non-coopération (articles 15.2 et 15.3 du RSE). Le non-respect des engagements ou des mesures imposées par la Commission peut entraîner quant à lui des amendes pouvant aller jusqu’à 10% du chiffre d’affaires annuel de l’entreprise et 5% du chiffre d’affaires quotidien par jour de non-exécution (article 15.5 du RSE).

Que peuvent attendre les entreprises européennes de l’application du Règlement Subventions Etrangères ?

Tout d’abord, le Règlement Subventions Etrangères s’appliquera avec une certaine rétroactivité puisque son article 47.1 prévoit qu’il sera applicable aux subventions étrangères octroyées jusqu’à cinq ans avant son entrée en vigueur lorsqu’elles génèrent encore à cette date des distorsions sur le marché intérieur.

Ensuite, il semblerait que la Commission européenne puisse s’intéresser de manière prioritaire aux entreprises subventionnées opérant dans des secteurs stratégiques pour l’économie européenne, telles que l’industrie lourde, les infrastructures, le transport, les technologies et l’énergie (voir, par exemple, l’article de M. S. Van Dorpe, publié dans le journal Politico, du 14 juillet 2022, « 5 industries that need to watch foreign subsidies rules »).

Enfin, les associations et entreprises européennes présentes sur ces marchés stratégiques pour l’Union et qui estiment subir une concurrence déloyale de la part de leurs concurrentes, peuvent donc commencer à fourbir leurs armes afin de déposer plainte auprès de la Commission européenne dans le courant de l’année prochaine. Comme c’est le cas en matière de droit de la concurrence, il est probable que plus leur plainte sera circonstanciée, plus la Commission européenne sera encline à procéder à une enquête approfondie.

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