Par Valère Ndior – Professeur de droit public à l’Université de Bretagne occidentale
Le président russe Vladimir Poutine a ordonné l’entrée des troupes russes sur le territoire de l’Ukraine dans la nuit du 21 au 22 février 2022. Les condamnations des Etats, en réaction à cette invasion marquée par des frappes aériennes et l’avancée de forces terrestres vers la capitale, ont été vives et immédiates.
Quelles sont les positions de la Russie et l’Ukraine ?
Le 21 février 2022, le président Poutine a signé deux décrets reconnaissant l’indépendance des provinces ukrainiennes de Donetsk et Louhansk et les qualifiant de « républiques populaires ». Le chef d’Etat a ensuite ordonné à la Défense russe de se tenir prête à « maintenir la paix » dans les provinces séparatistes (une « perversion » du concept de maintien de la paix selon le Secrétaire général des Nations Unies) et conclu des traités « d’amitié, de coopération et d’entraide » avec celles-ci. La Russie a avancé plusieurs motifs pour justifier le déclenchement des opérations militaires contre l’Ukraine. Les déclarations du président Poutine ont, successivement, nié l’existence de l’Ukraine en tant qu’Etat, accusé le gouvernement ukrainien de provocations militaires, dénoncé un projet génocidaire à l’encontre des populations russophones de l’Ukraine ou qualifié le rapprochement entre l’Ukraine et l’OTAN de menace contre les intérêts russes (l’Ukraine est devenue un partenaire privilégié de l’OTAN en 2020). Dans le même temps, les autorités russes ont mené une campagne massive de propagande sur les réseaux sociaux, via les comptes gouvernementaux, afin de décrédibiliser l’Ukraine et ses alliés. Les médias ont fait l’objet de censures et les réseaux sociaux étrangers, notamment Facebook, ont été menacés de blocage en raison des actions de modération qu’ils ont menées contre les comptes gouvernementaux russes.
Dès le déclenchement des hostilités, le président ukrainien Volodymyr Zelensky a dénoncé une violation du droit international et de la souveraineté de l’Ukraine, appelé ses citoyens à prendre les armes et demandé à la communauté internationale de lui apporter son soutien. Le 26 février 2022, l’Ukraine a déposé une requête introductive d’instance auprès de la Cour internationale de Justice, l’organe judiciaire principal de l’ONU. L’Etat y soutient que
« la Fédération de Russie a faussement affirmé que des actes de génocide avaient été commis dans les oblasts ukrainiens de Louhansk et de Donetsk, reconnaissant sur cette base les prétendues « République populaire de Donetsk » et « République populaire de Louhansk », et qu’elle a ensuite annoncé et mis en œuvre une « opération militaire spéciale » contre l’Ukraine ».
L’Ukraine entend fonder la compétence de la Cour sur la Convention sur le génocide et demande l’adoption d’une ordonnance en indication de mesures conservatoires « afin de prévenir qu’un préjudice irréparable ne soit causé aux droits de l’Ukraine et de sa population, et d’éviter d’aggraver ou d’étendre le différend qui oppose les parties sur le fondement de la convention sur le génocide».
Comment qualifier juridiquement les actions menées par la Russie contre l’Ukraine ?
Les opérations militaires russes menées sur le territoire ukrainien constituent des violations du droit international, notamment de l’article 2§4 de la Charte des Nations Unies :
« Les Membres de l’Organisation s’abstiennent, dans leurs relations internationales, de recourir à la menace ou à l’emploi de la force, soit contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique de tout État, soit de toute autre manière incompatible avec les buts des Nations Unies ».
En effet, la Charte soumet les Etats à une obligation de règlement pacifique de leurs différends. Par ailleurs, la reconnaissance unilatérale de l’indépendance des provinces du Donetsk et du Louhansk, puis la conclusion d’accords avec ces dernières, portent atteinte à la souveraineté, à l’intégrité territoriale et à l’indépendance politique de l’Ukraine. Ces actions violent les règles élémentaires qui structurent l’ordre juridique international et peuvent justifier l’engagement de la responsabilité internationale de la Russie ainsi que le déclenchement de mesures destinées à assurer le maintien de la paix et de la sécurité internationales (Chapitre VII de la Charte). D’autres règles du droit international pourraient être invoquées. A titre individuel, le président Poutine pourrait voir sa responsabilité pénale engagée pour la violation des articles 8 et 8 bis du Statut de Rome de la Cour pénale internationale : l’article 8 vise les crimes de guerre, notamment le fait de diriger des attaques contre la population civile (art. 8 § 2, b. i), tandis que l’article 8 bis vise les crimes d’agression, à savoir la « planification, la préparation, le lancement ou l’exécution par une personne effectivement en mesure de contrôler ou de diriger l’action politique ou militaire d’un Etat, d’un acte d’agression qui, par sa nature, sa gravité et son ampleur, constitue une violation manifeste de la Charte des Nations Unies ». Le Procureur de la CPI a toutefois rappelé que la Russie et l’Ukraine ne sont pas parties au Statut, ce qui ferait obstacle à l’application directe de ces dispositions.
Les règles du droit international humanitaire applicables lors de conflits armés et inscrites dans les Conventions de Genève pourraient également être invoquées pour sanctionner ces comportements. Signalons enfin que les Accords de Minsk, conclus en 2014-2015 sous le patronage de la France et de l’Allemagne afin de pacifier la relation russo-ukrainienne, sont désormais lettre morte.
Quelles mesures ont été adoptées par la communauté internationale ?
Plusieurs organisations internationales ont adopté des mesures de sanctions, dont certaines dites « ciblées » en cela qu’elles visent des individus plutôt que l’Etat russe. L’Union européenne a par exemple adopté des sanctions visant des personnalités et dignitaires du régime russe, incluant le président Poutine et le ministre des Affaires étrangères Sergei Lavrov (gel des avoirs, interdiction de voyage sur le territoire de l’Union, etc.), et des sanctions économiques à portée générale (interdictions d’exportation et d’importation de marchandises en provenance ou à destination des deux provinces ukrainiennes non contrôlées par le gouvernement, restrictions d’accès de la Russie aux marchés de capitaux de l’UE et à ses marchés et services financiers). Les sanctions et restrictions ont gagné en intensité et couvert des domaines d’activité variés : les médias russes RT et Sputnik, accusés de propagande, ont été bannis de l’UE tandis que l’espace aérien européenne n’est plus accessible aux compagnies russes. La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a annoncé la décision de l’UE de financer l’acheminement d’armes vers l’Ukraine. D’autres organisations internationales ont également réagi : le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe a suspendu les droits de représentation de la Russie ; l’OTAN a entrepris de renforcer ses troupes présentes dans les pays Baltes.
De nombreux Etats ont adopté des mesures individuelles ou concertées, de façon notable les Etats-Unis, l’Allemagne, la France, le Royaume-Uni, le Japon, le Canada, l’Australie qui ont pris des mesures visant les activités financières, technologiques, énergétiques ou maritimes russes tout en gelant, pour certaines, les avoirs de l’exécutif russe. L’objectif de telles mesures est d’exercer une pression croissante sur les autorités russes afin de les contraindre à mettre un terme à leurs actions militaires.
Notons enfin que le Conseil de sécurité des Nations Unies n’est pas parvenu, le 25 février, à adopter un projet de résolution soutenu par la France et destiné à « déplorer » l’invasion russe en Ukraine. La Russie a en effet exercé le droit de veto dont elle bénéficie en tant que membre permanent. Le Conseil de sécurité a en revanche adopté, le 27 février, une résolution réclamant l’organisation d’une réunion d’urgence de l’Assemblée générale des Nations Unies afin que l’organe puisse adopter des mesures en réaction à la crise ukrainienne.