Par Manuel Gros – Professeur émérite des facultés de droit – Avocat au barreau de Lille
Une pluie de sanctions s’abat sur la Russie de Poutine depuis l’invasion de l’Ukraine. Si certaines d’entre elles laisseront nécessairement des traces (par exemple les sanctions économiques et financières), si certaines autres relèvent du ridicule (la Fédération internationale féline aurait interdit les chats « russes » dans les compétitions félines), les sanctions sportives prises par la FIFA, organisatrice de la Coupe du Monde et l’UEFA, organisatrice des compétitions inter-clubs européens à la suite de l’invasion de l’Ukraine contribuent à isoler toujours plus la Russie.
Quelles sanctions visant la Russie ont été prises par la FIFA et par l’UEFA ?
Parmi les sanctions sportives nombreuses, on peut relever celles décidées par les instances internationales du football professionnel « privant » la Russie de participation à la coupe du monde de football au Qatar en 2022 (la FIFA a décidé le 28 février dernier de suspendre l’équipe nationale russe) ou transférant la finale de la ligue des champions originellement attribué au stade Krestovski de Saint-Pétersbourg, au stade de France (décision de l’UEFA).
Sans permettre l’exception hypocrite d’une bannière « neutre », comme l’avait fait le Comité International Olympique (CIO) admettant en 2018 aux J.O de 2021 et 2022 les athlètes russes sous un label « Comité olympique russe » (ROC) ou d’un terrain neutre, sans hymne, cette sanction directe contre l’équipe russe a été décidée le 27 février 2022 à l’unanimité du bureau du conseil de la FIFA (composé de son Président Gianni Infantino et des huit Vice-Présidents) et exclut la Russie de la prochaine Coupe du monde.
La FIFA prive ainsi finalement la Sbornaïa (surnom de l’équipe nationale de football de Russie) de la possibilité de disputer les barrages, les 24 et 28 mars contre la Pologne et contre le vainqueur du match Suède-République tchèque, adversaires « sensibles » au regard de la crise. Cette exclusion par la FIFA prive par conséquent l’équipe nationale russe d’une possibilité de se qualifier pour le Mondial au Qatar en fin d’année 2022.
On notera que l’UEFA (compétente pour les clubs) fit le même cheminement : après une sanction « contournable » permettant aux clubs russes de continuer de jouer sous appellation neutre, décidée par le comité exécutif de l’UEFA, ce même comité, en phase avec la FIFA, décidait par la suite de suspendre jusqu’à nouvel ordre tous les clubs russes. Le Spartak Moscou, dernier représentant russe en Coupe d’Europe, a ainsi été exclu des huitièmes de finale, qualifiant d’office son adversaire, le RB Leipzig, pour les quarts de finale, soit un manque à gagner pour le club russe de 1,8 million d’euros, montant de la prime du club qui accède aux quarts de finale.
Cette sanction globale, visant à la fois les équipes nationales et les clubs sur la base de leur nationalité est une première et illustre une volonté d’isolement de la Russie assez inédite.
Est-ce la première fois que sport et relations internationales interagissent ?
Traditionnellement, le sport ne devait pas intervenir en matière de relations internationales. En témoigne la prière traditionnelle prononcée avant l’ouverture des jeux pour la première fois en 1912 par le révérend R.S de Courcy Laffan, membre du comité olympique : « Bénissez l’assemblée de l’élite de la jeunesse de toutes les nations, afin que les jeux olympiques puissent être, dans votre main, un instrument de la paix du monde et de la bienveillance de tous les peuples ».
Cette prière reflète bien la fiction du sport moderne comme élément de trêve et de paix, fiction à laquelle croyait P. de Coubertin, fondateur du Comité International Olympique. Cette fiction ne durera pas et le sport fera ensuite partie intégrante des politiques internationales. Cette doctrine Coubertienne s’essoufflera et les « sanctions » sportives de régimes contestés allaient devenir récurrentes.
Sur ce plan, la crise ukrainienne de 2022 n’est qu’une simple répétition de l’histoire.
Dès 1936, Hitler utilisait les J.O de Berlin à des fins idéologiques, imité ensuite par tous les états organisateurs successifs depuis, sans interruption. Les derniers jeux olympiques d’hiver de Pékin en 2022 l’ont démontré avec notamment le boycott des cérémonies par la diplomatie américaine et ses alliés anglo-saxons notamment le Royaume-Uni, le Canada et l’Australie, afin de protester contre les violations des droits de l’homme en Chine et la répression envers la minorité musulmane des Ouïghours dans la région du Xinjianla coupe du monde de football au Qatar en 2022 pourrait ne pas faire exception à cette règle.
On peut relever que ça n’est pas la première fois que l’affrontement est-ouest a des répercussions dans le domaine du sport. Les J.O de Moscou en 1980 et ceux de Los Angeles en 1984 seront ainsi marqués par des sanctions de non-participation sportive pour des raisons politiques, au risque de voir ces jeux olympiques amputés parfois d’une moitié du monde sportif. Ainsi les JO de Moscou de 1980 se firent sans les athlètes et sportifs des USA, première nation sportive mondiale et ceux de Los Angeles en 1984 sans ceux d’une quinzaine de pays du bloc communiste, dont l’URSS.
L’intervention du sport en matière de politiques internationales n’a pas toujours pour objet de sanctionner un Etat. Il peut arriver à l’inverse que la reconnaissance sportive précède la reconnaissance politique d’un Etat. Exemple historique étonnamment comparable à la crise ukrainienne de 2022, en 1908 le C.I.O reconnut la Finlande (alors seulement grand-duché, vassal de l’empire des tsars) comme un Etat, malgré les protestations de la Russie et avant même l’indépendance officielle proclamée dans le traité de Tartu en 1920. La même année, malgré les pressions britanniques et américaines, le CIO admettait que les dominions britanniques comme le Canada ou l’Afrique du sud participent aux JO alors que ces derniers n’ont accédé à l’indépendance politique que respectivement en 1931 et en 1961.
Au contraire, il est arrivé que la reconnaissance sportive tarde à venir par rapport à l’existence en droit international et l’on rappellera que l’U.R.S.S ne sera acceptée sportivement qu’en 1952 à l’occasion des JO d’Helsinki, bien après sa naissance politique en 1917.
En quoi les sanctions actuelles isolent elles de manière inédite la Russie ?
L’exclusion d’une équipe pour des raisons politiques n’est pas nouvelles : en 1979 par exemple, le Comité d’organisation des jeux de Moscou interdisait les « Springboks », en tant qu’équipe sud-africaine de rugby de participer aux JO de Moscou, justifiant cette décision par la politique d’apartheid menée par l’Afrique du Sud.
Pour autant, les sanctions actuelles prises à l’encontre de la Russie sont inédites à deux égards ce qui témoigne de la volonté forte d’isoler la Russie.
D’abord, ces sanctions relèvent d’un échelon supérieur de la sanction sportive : celui de l’exclusion d’une nation par toutes les instances sportives (UEFA, FIFA, Grand Prix de Russie, World Rugby…), et non par les seules instances olympiques.
Ensuite, les sanctions prises aujourd’hui contre la Russie visent à exclure un Etat et non pas seulement un régime.
Il était ainsi arrivé que certaines fédérations sportives comme la fédération russe d’athlétisme, accusée de dopage institutionnel en 2018, se soient vu interdire de participer aux jeux olympiques. Cependant les athlètes non suspectés ou non condamnés pour dopage pouvaient concourir sous une étiquette indépendante. Ce fut le cas à aux Jeux Olympiques d’Eté et d’Hiver de Pékin en 2021 et 2022, où les sportifs « russes », sous la bannière « ROC » (Russian Olympic Committee) obtinrent respectivement 71 médailles et figurant au 5ème rang (avant la France huitième) et 32 médailles, figurant au 9ème rang (juste avant la France dixième). Dans ces conditions, l’efficacité de la sanction se discute.
Dans le cas des sanctions prises à l’encontre de la Russie après sa décision d’envahir l’Ukraine, la Russie en tant qu’Etat a été exclue pour tous les sports où les institutions étatiques russes étaient censées « profiter » d’une organisation ou d’une participation sportive.
En revanche, pour les sportifs russes en tant qu’individus, pour l’instant, point de sanction. Par exemple le numéro un mondial de tennis, Daniil Medvedev, peut encore participer aux tournois, bien que de nationalité russe. C’est donc l’Etat russe qui fait l’objet de sanctions d’exclusion et d’interdiction, et c’est donc lui qui sur le plan juridique (par le canal de sa fédération de football) conteste devant le Tribunal Arbitral du Sport (TAS) une sanction sportive. La suspension de ces mesures d’exclusion ayant été rejetée par le TAS ce mardi 15 mars, l’affaire devra être jugée au fond, dans un délai qui ne permettra probablement pas aux équipes de football russes de participer à la Coupe du Monde et à la compétition inter-clubs organisée par l’UEFA.