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Tiers impartial

L’engagement politique est-il compatible avec la fonction de magistrat ?

Alors que le gouvernement annonce vouloir relancer la procédure visant à la réforme du Conseil supérieur de la magistrature, le débat sur l’indépendance des magistrats masque la question de leur impartialité. Le fantasme d’un juge aux ordres du pouvoir politique focalise l’attention. Pourtant un juge indépendant du pouvoir politique peut être un juge partial, ou susceptible d’être perçu comme tel, l’indépendance n’est en réalité que l’une des conditions de l’impartialité et cette impartialité légitime l’existence d’un pouvoir judiciaire. La légitimité du juge ne relève pas de la démocratie, elle relève de sa fonction de tiers impartial (cf. B. Mathieu, Justice et politique : la déchirure, Lextenso, 2015). Si la Cour de cassation a pertinemment relevé l’exigence d’impartialité du juge au regard de l’engagement associatif (cf. B. Quentin, La Semaine juridique, 2015, n°18, p. 913), plus politiquement délicate est la question de l’engagement syndical et politique.
Partons du postulat que le justiciable a le droit d’être jugé par un magistrat dont il n’a pas de raison de mettre en doute l’impartialité. Du point de vue du magistrat, l’indépendance est un devoir plus qu’un droit. Il convient alors de s’interroger sur la faculté reconnue aux juges de faire publiquement état d’engagements politiques ou philosophiques ou d’occuper des fonctions publiques autres que liées à leur état de magistrat. Cette question renvoie d’abord à celle de la liberté syndicale du magistrat. L’existence de syndicats défenseurs des intérêts matériels des magistrats ne pose en effet pas de problème, sauf à ce que la gestion de la justice et du corps judiciaire ne soit confiée, exclusivement, ou presque, à de tels syndicats, au risque du corporatisme. En revanche quelle légitimité a un magistrat à dénoncer la loi, à faire prévaloir tel droit fondamental sur tel autre, à remettre en cause l’intérêt général poursuivi par le législateur ? Le juge est le gardien des libertés dans le cadre fixé par le législateur (le Parlement, le Constituant, les autorités normatives européennes et internationales…) et non à l’encontre des normes qu’il édicte. Défendre la conception du possible engagement politique du magistrat, c’est en faire un acteur du jeu social, reconnaître sa faculté de vouloir, en faire un concurrent du pouvoir politique. Or, faute de légitimité démocratique, telles ne peuvent être les fonctions du juge. Alors même que le juge dispose aujourd’hui d’un pouvoir étendu d’interprétation de la norme, il ne lui appartient pas, de manière générale, d’adapter le droit aux évolutions de la société, fonction éminemment politique. Collectivement le corps judiciaire ne peut prendre de positions politiques, individuellement le juge ne peut faire prévaloir ses propres idéaux. La question syndicale n’est bien entendu pas la seule question que pose l’impartialité, elle concerne également l’appartenance à un parti politique, la candidature à des élections politiques, l’appartenance publique à des associations philosophiques ou l’appartenance à des sociétés secrètes.

Si chacune de ces questions doit être examinée séparément et si la solution ne s’impose pas d’elle-même, le débat doit être engagé, il en va de la crédibilité de la justice et de la confiance que peuvent lui porter les citoyens. Un patron pollueur n’est-il pas en droit de douter, quelle que soit l’objectivité réelle du magistrat concerné, de l’impartialité d’un juge militant écologiste ? On pourrait multiplier à l’envie les exemples. La question est bien sûr celle de l’activité publique ou de l’activité privée menaçant directement l’impartialité objective (c’est à dire telle qu’elle est perçue par les tiers) du magistrat. Le magistrat reste totalement libre de ses convictions religieuses, politiques… Si la liberté d’expression peut être limitée, la liberté de penser est, par essence, absolue. De même que la fonction de magistrat impose, pour des questions d’image publique, des contraintes concernant des comportements relevant de la vie privée, elle doit imposer des limites à des prises de positions publiques, collectives ou individuelles.

Tiers impartial, le juge doit prendre en compte à la fois l’intérêt général fixé par le pouvoir politique et les droits qui sont reconnus aux citoyens. Il ne lui appartient pas de déterminer ni l’un, ni les autres. Il en est le garant. Ce qui n’est pas rien.

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Bertrand Mathieu

Bertrand Mathieu

Professeur de Droit à l'Université Paris I Panthéon Sorbonne
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