TCE – Effets juridiques du retrait de la France du Traité sur la Charte de l’énergie
La France a annoncé, le 21 octobre 2022, son retrait du Traité sur la Charte de l’Énergie (TCE), au diapason de nombreux autres États de l’Union européenne. Conclu au sortir de la guerre froide, le TCE liait, à l’origine, l’UE, ses États membres et des États tiers, pour promouvoir les investissements énergétiques sur le continent en pleine réorganisation.
Ces départs progressifs des États européens sont motivés par deux critiques distinctes. D’abord, le TCE protégerait essentiellement les investissements dans les énergies fossiles et empêcherait la transition vers une économie décarbonée, en permettant aux investisseurs d’attraire à l’arbitrage les États souhaitant opérer cette transition. L’exemple le plus emblématique est celui de l’affaire Vattenfal, du nom de l’entreprise suédoise qui avait demandé à l’Allemagne 4,7 milliards d’euros du fait de sa sortie du nucléaire. La critique est portée par le GIEC qui présente le TCE comme un obstacle majeur au respect des objectifs fixés par l’Accord de Paris. Par ailleurs, l’heure est à la défiance contre l’arbitrage jugé, dans le sillage de la Commission européenne et des arrêts de la Cour de justice de l’UE Achmea, Komstroy et PL Holding, incompatible avec le droit de l’UE. Il n’existerait alors pas d’autre choix que de se retirer du TCE pour confier la protection des investissements énergétiques au droit et juridictions de l’UE.
Dans l’immédiat, le retrait n’aura que peu d’effets, le TCE prévoyant une sunset clause protégeant pendant 20 ans les investissements conclus avant le retrait. Pour la suite, est-il permis de douter que la voie suivie actuellement en Europe soit la plus efficace, tant pour atteindre les objectifs de l’Accord de Paris, que pour restaurer sa compétitivité énergétique ? La mise en œuvre de changements structurels nécessaires à l’avenir de la planète et la compétitivité européenne requiert un cadre stable et défini. Pour assurer le financement de la transition, il faudra attirer les investisseurs, tentés par une délocalisation énergétique. Or, le droit européen n’a pas encore prouvé qu’il pouvait être le plus efficace pour cela et l’on peut se demander si son application par la Cour de justice permettra de répondre au défi des investissements massifs dans l’éolien flottant, le photovoltaïque ou le nucléaire.
Seul un traitement juste et équitable de chacune des situations spécifiques des investisseurs est susceptible de favoriser de nouveaux investissements. Or la volonté de la Cour de justice d’imposer uniformément sa compétence exclusive ne semble pas garantir un traitement conforme aux exigences de l’État de droit. En appliquant cette position, les États membres de l’UE risquent des condamnations de la Cour EDH, laquelle a jugé dans l’affaire BTS Holding contre Slovaquie que la non-reconnaissance d’une sentence arbitrale rendue en faveur de BTS constituait une violation de son droit de propriété. La France pourrait se voir reprocher pareille violation si la position de la cour d’appel de Paris dans les arrêts du 19 avril 2022 Slot et Strabag contre Pologne n’était pas réformée, puisqu’elle laisse les investisseurs dans l’obligation de saisir des tribunaux polonais dont les institutions européennes dénoncent par ailleurs le manque d’indépendance et d’impartialité.
On peut aussi interroger l’efficacité d’un tel choix s’agissant de la restauration de la souveraineté politique des États en matière énergétique, dès lors qu’il n’est pas certain que ces derniers, libérés de leurs obligations au titre du TCE et de la menace de l’arbitrage, choisiront enfin de mettre en œuvre une politique énergétique vertueuse.
Exclure l’arbitrage en tant que garantie procédurale, c’est également prendre le risque de se trouver dépourvu face à la réversibilité des politiques publiques. Car, on l’oublie souvent, le TCE a permis à des investisseurs d’agir contre l’Espagne et la République Tchèque dans les affaires Eiser et Antaris Solar qui avaient décidé de baisser pour des raisons de finances publiques les subventions de la filière solaire et du photovoltaïque. Dès lors, les protections garanties par l’arbitrage, juridiction neutre, impartiale et indépendante des États, dans un cadre international renouvelé facilitant les investissements dans les énergies vertueuses en Europe, ne devraient pas être sous estimées. L’arbitrage peut aider à dessiner le chemin qui permettra à l’Europe d’atteindre les objectifs de l’Accord de Paris et de retrouver sa compétitivité énergétique, dans le respect de l’État de droit.
Gaëlle Filhol, associée Betto Perben et William Brillat-Capello, Counsel Betto Perben, partenaires du Club des juristes