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CJIP, par Astrid Mignon Colombet, associée August Debouzy, partenaire du Club des juristes

CJIP – La convention judiciaire d’intérêt public européenne : espoir ou réalité ?

Le 13 octobre 2022, la Cour de cassation a organisé un colloque en hommage à Mireille Delmas-Marty, dont l’une des tables rondes était consacrée au parquet européen qu’elle avait appelé de ses vœux en 1997. Sa conviction profonde était que celui-ci ne serait efficace que s’il est puissant, à l’instar de la justice pénale américaine qu’elle décrivait de manière saisissante en 2016 : « la punition devient auto-régulation : le suspect avoue pour ne pas être déclaré coupable (…). » (RSC 2016, p.453). L’un des instruments de cette nouvelle justice pénale économique est l’accord de poursuites différées (DPA) qui permet d’éteindre in fine des poursuites initiées à l’encontre de l’entreprise sans reconnaissance de culpabilité, moyennant le paiement d’une pénalité financière et l’accomplissement d’obligations de mise en conformité (compliance).

Pour affirmer à son tour sa puissance sur la scène internationale, le parquet européen doit, lui aussi, disposer d’un instrument équivalent. Si le Règlement européen du 12 octobre 2017 comporte déjà un article 40 nommant ces instruments négociés « procédures simplifiées », l’avènement d’une justice négociée européenne dépend étroitement de son instauration par les droits nationaux des 22 États-membres. Le procureur européen n’a en effet le pouvoir d’appliquer ces procédures que dans les conditions prévues par le droit national.

En France, le procureur européen délégué peut proposer à la chambre permanente du Parquet européen de recourir à la convention judiciaire d’intérêt public (CJIP) qui présente l’avantage de ne pas nécessiter d’aveu de culpabilité à la différence de la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC). Seulement le droit français ne prévoit le recours à la CJIP que pour un nombre limité d’infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union européenne telles que les infractions de corruption d’agent public européen, de fraude fiscale à la TVA européenne et leur blanchiment ainsi que les infractions connexes. Il apparaît donc nécessaire d’étendre le champ de la CJIP économique et financière aux autres infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union européenne telles que le détournement de fonds publics européens.

Et demain, cette justice négociée européenne ne sera forte que si elle est mise en œuvre dans tous les États membres. En effet, plus ceux-ci se dotent d’une procédure effective, plus ils peuvent régler eux-mêmes les sujets pour lesquels leur compétence est affirmée, à l’instar de la France et du Royaume-Uni dans le dossier Airbus, aux côtés des États-Unis voire à leur place. La difficulté en l’état actuel est que seul un nombre limité d’États membres dispose d’instruments négociés. Il s’agit essentiellement de la France, des Pays-Bas (transactie), de l’Italie (pattegiamento) ou de l’Allemagne (ordonnances de confiscation). Une impulsion européenne est donc impérieuse pour étendre ces procédures dans le reste des États membres.

Précisément, les premières lignes directrices adoptées par le collège des procureurs le 2 décembre 2020 indiquent que la gravité de l’infraction (seriousness of the offense) n’est pas en elle-même un obstacle à l’application des procédures simplifiées pourvu que les dispositifs nationaux ne l’interdisent pas. Ceci est majeur car cette nouvelle justice économique s’applique déjà dans l’ordre international aux infractions graves et complexes si l’on prend l’exemple de la corruption d’agents publics étrangers. L’esprit de la justice négociée est en effet de créer un espace de dialogue, un temps de rencontre entre les avocats et les magistrats pour améliorer la compréhension des enjeux du dossier, lorsque l’affaire est simple mais aussi et surtout lorsqu’elle est complexe.

Créer une CJIP européenne suppose enfin de s’accorder sur les caractéristiques essentielles des « procédures simplifiées » telles que leur caractère extinctif, l’absence d’aveu de culpabilité, leur validation judiciaire, leur publicité et leur transposition aux personnes physiques. La CJIP européenne pourrait ainsi devenir l’instrument d’une politique pénale européenne propice à la création d’une meilleure régulation multilatérale des poursuites conforme au principe ne bis in idem et à une possible extension de la compétence du Parquet européen à d’autres euro-crimes.

Astrid Mignon Colombet, associée August Debouzy, partenaire du Club des juristes

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