Innovation majeure du nouveau Code pénal de 1992, la responsabilité pénale des personnes morales s’est accrue par l’effet de réformes législatives successives.
À la faveur d’une étude statistique que vient de publier le ministère de la Justice, on apprend qu’en 2015, plus de 5.000 condamnations furent prononcées à l’encontre de personnes morales. Quinze ans plus tôt, en 2000, seules 200 personnes morales avaient été condamnées (Infostat Justice, n°154, Le traitement judiciaire des infractions commises par les personnes morales).
Toutefois, cette augmentation ne reflète pas nécessairement un durcissement de la politique pénale à l’encontre du monde des affaires. Bien au contraire, il semble qu’on a souvent substitué la responsabilité pénale de la personne morale à celle de ses décideurs. En effet, dans 55% des affaires jugées en 2015, la personne morale était poursuivie seule, sans son dirigeant. Ce transfert de responsabilité vers la personne morale pourrait faire naître chez les décideurs un certain sentiment d’impunité, et pose nécessairement la question du caractère dissuasif des poursuites pénales.
À cet égard, les statistiques du Ministère de la Justice laissent songeur. En effet, lorsque la réponse pénale apportée à une infraction n’est pas une mesure alternative (71% des cas) comme la simple régularisation, la peine prononcée est quasi-systématiquement une amende, ces dernières représentant 96% des peines prononcées. En 2015, le montant moyen des amendes s’établissait à 17.000 euros et trois personnes morales sur quatre condamnées l’avaient été pour une somme inférieure à 6.000 euros. L’on se trouve ainsi très en-deçà des montants des amendes prononcées par les autorités administratives indépendantes comme l’Autorité de la concurrence ou encore l’AMF.
Si ces chiffres cachent nécessairement une différence forte selon les matières concernées – l’homicide involontaire ne peut être réprimé comme les infractions aux transports – ils révèlent néanmoins une répression mesurée. Aussi, les peines complémentaires réellement dissuasives, telles que l’interdiction d’exercer une activité, ne sont même pas mentionnées, laissant à penser qu’elles sont prononcées si rarement qu’elles échappent à tout traitement statistique.
Face à l’indulgence dont semblent bénéficier les personnes morales, les fervents d’une répression pénale efficace des infractions économiques et financières se consoleront en relisant Des délits et des peines de Beccaria pour qui « la certitude d’une punition, même modérée, fera toujours plus d’impression que la crainte d’une peine terrible si à cette crainte se mêle l’espoir de l’impunité ». Toutefois, là encore, la statistique ne les incitera pas nécessairement à l’optimisme car les autorités, sans doute en mal de moyens face à des litiges toujours plus complexes, semblent avoir abandonné cette matière aux victimes, faisant de la citation directe le mode de comparution le plus fréquent des personnes morales devant les tribunaux correctionnels.