« Améliorer la compétitivité de la place financière de Paris dans le cadre d’OPA (…), notamment des OPA amicales ». Louable objectif que celui poursuivi par l’amendement adopté le 15 octobre dernier au Sénat lors de l’examen d’un projet de loi d’adaptation au droit de l’Union européenne. Ce texte propose d’impartir à la Cour de Paris un délai maximum de cinq mois pour trancher les recours formés en matière d’OPA. C’est que l’interminable feuilleton « Club Méditerranée » (toujours en cours), comme le long rapprochement « Icade-Silic » (quatorze mois), chacun retardé par un volet judiciaire, ont montré que les conseillers parisiens n’étaient pas toujours en mesure de juger ces contestations en quatre mois comme ils y parvenaient auparavant. Pour autant, la mesure proposée, pratiquement sans précédent, laisse perplexe.
Son utilité n’est guère évidente car, en réponse à ces dérapages incontrôlés de calendriers, l’AMF a modifié sa position qui consistait à repousser, jusqu’après la décision du juge, la clôture de l’offre. Désormais, l’Autorité la laisse se poursuivre, assurant une chronologie préservée de tout contrecoup judiciaire. Cette pratique du régulateur, pourtant satisfaisante, serait-elle seulement maintenue si l’amendement proposé devenait loi ? Le Premier Président de la Cour a bien un pouvoir suspensif en cas de « conséquences manifestement excessives », mais sa mise en œuvre a vocation à n’être qu’exceptionnelle et en cas d’annulation d’une offre achevée, la traçabilité informatique des actions permettrait leur restitution. Certes, si un nombre insuffisant d’apporteurs demandaient le retour de leurs titres, une offre irrégulière pourrait conduire à une prise de contrôle. L’amendement proposé ne porte toutefois pas sur cette question alors qu’on pourrait prévoir une limitation des droits de vote à 30%.
De surcroît, la mise en œuvre d’une telle disposition pourrait être délicate. Nul n’ignore que les effectifs de la Justice ne facilitent pas toujours un examen rapide des recours. Ceci explique en partie la lenteur avec laquelle les dossiers précités ont été traités. Assigner aux magistrats un temps d’examen limité ne changera en rien cet état de fait et il n’est pas certain – même si l’on peut espérer que l’organisation de la Cour améliore les choses – qu’une décision rigoureusement motivée puisse toujours être rendue dans ce délai. Que se passerait-il alors ? Ni un dessaisissement, comme le précisent certains textes astreignant une échéance à une juridiction, ni aucune autre conséquence n’est prévue. La Cour resterait-elle en mesure de trancher ? Sa saisine serait-elle caduque ? Ou bien ce texte se révélerait-il purement incantatoire ?
Décidément, l’enfer juridique est bien souvent pavé de bonnes intentions politiques. Le législateur ferait mieux en ce cas de traiter des questions qui le requièrent et de s’en remettre pour le reste à la sagesse du régulateur et du juge qui ont su, sans son secours, marier temps boursier et temps judiciaire.
Didier Martin
Avocat à la Cour, associé Bredin Prat, Membre du Club des juristes
Mathieu Françon
Avocat à la Cour, Bredin Prat