Montrer le chemin pour prévenir la corruption internationale
C’est un curieux décalage que le droit français donne à voir en matière de prévention de la corruption domestique, d’un côté, et de la corruption internationale, de l’autre, bien que l’une et l’autre soient évidemment incriminées par le code pénal (articles 433-1 et s. et 435-1 et s.). Sans s’attarder sur la brièveté de ces dispositions – caractéristique qui ne contribue pas à la sécurité juridique et à la prévisibilité – l’on ne peut que constater que le traitement de la corruption internationale est purement répressif tandis que celui de la corruption interne comporte un versant préventif.
Celui-ci s’exprime déjà par l’existence d’infractions obstacles qui visent à éviter des situations de corruption. En un sens, les délits de prise illégale d’intérêt et de pantouflage (articles 432-12 et 432-13 du code pénal) incriminent des situations qui présentent seulement un risque de corruption ou de trafic d’influence. Ainsi, l’article 432-13 définit-il concrètement et de manière intelligible la conduite qu’il est interdit de tenir, à savoir s’abstenir, pendant un délai de 3 années, de prendre une fonction ou un intérêt au sein d’une entreprise que l’agent public concerné a eu la charge de superviser ou sur laquelle il a formellement eu l’occasion d’émettre un avis. Si une affaire récente concernant un ancien secrétaire général adjoint de l’Elysée a mis à jour des difficultés d’interprétation de ce texte, il n’en reste pas moins qu’il permet de définir de manière précise un comportement circonstancié dont on sait qu’il ne doit pas être tenu. Plus encore, au volet répressif de la prévention de la corruption s’ajoute un volet qui est, lui, purement préventif. Il en est ainsi de la procédure devant la commission de déontologie de la fonction publique ou encore de la déclaration d’intérêts auprès de la haute autorité pour la transparence de la vie publique.
Toute autre est la situation de la prévention de la corruption d’agents publics étrangers. Certes, le service central de prévention de la corruption a émis des lignes directrices en mars 2015. Il s’agit d’une première initiative louable mais qui ne fournit qu’une méthodologie de lutte contre la corruption aux entreprises. A ce jour, le droit français n’offre pas d’outils qui permettraient aux entreprises de déterminer avec précision les comportements adaptés et ceux qui ne le sont pas. Il est pourtant nombre de sujets où cela serait précieux : cadeaux modiques offerts aux clients, invitations à des séminaires et voyages d’affaires, recours à des intermédiaires, paiements de facilitation pour accomplir des formalités administratives… Autant de sujets qui sont couverts par des droits étrangers, et notamment le UK Bribery Act et ses textes d’application (SFO Guidelines), mais qui restent absents du cadre juridique français.
Cet état du droit est probablement le reflet d’une certaine culture législative datée, celle de la répression de comportements déviants, définis brièvement par la loi d’une manière que les anglo-saxons qualifieraient de « top down », venant du haut. Cela crée aussi un désavantage concurrentiel pour les entreprises dans la mesure où, plus que leurs homologues américains ou anglais, elles naviguent à vue et risquent de se voir reprocher un comportement dont l’analyse casuistique des textes dira rétrospectivement qu’il était interdit. Les débats juridictionnels récents dans les affaires « pétrole contre nourriture » l’illustrent tristement.
L’annonce d’un projet de loi sur la transparence dans la vie économique doit être l’occasion d’un profond changement de paradigme en sortant de la logique purement répressive et en définissant un cadre précis et circonstancié que les entreprises suivront dans leur politique interne de lutte contre la corruption. C’est un « Bribery Act à la française » qu’il faut concevoir. Toute approche a minima se contentant d’alourdir les sanctions existantes, d’en ajouter de nouvelles et de réprimer des comportements définis de manière vague, serait sans nul doute une occasion manquée. Il est impératif que la communauté des juristes prenne toute sa part à l’élaboration de cette loi, déjà dénommée Sapin 2, pour sortir d’une culture de la défiance et instaurer une véritable collaboration « bottom up », venant du bas. La moralisation de la vie des affaires y gagnera, tout comme la sécurité juridique.