L’adaptation du marché des investissements infra en période de turbulences
On a pu lire qu’avec des conditions de taux bas et une certaine incertitude liée à la volatilité des marchés et la géopolitique, l’infrastructure est une valeur refuge pour les investisseurs recherchant un taux de rendement sur le long terme assis sur un socle d’actifs stable.
Empirique à l’origine, l’équation est à vérifier en cette période de crise : une disruption, telle que l’épidémie de Covid-19 provoque, d’importantes turbulences économiques et financières dont la portée est encore difficile à cerner même s’il est désormais certain qu’elles compteront parmi les crises systémiques le plus importantes, notamment du fait de son imprévisibilité et de sa rapidité de propagation.
L’équation de départ est complexe du fait de l’effet psychologique d’une disruption de cette ampleur et dont la durée incertaine a conduit certaines transactions en cours à être suspendues : on peut citer comme exemple l’allocation du marché de la 5G en France.
L’infrastructure ou les infrastructures ?
Cette complexité s’accentue encore du fait de l’absence d’uniformité de l’effet de la crise sur le chiffre d’affaires et le rendement en fonction de la classe d’actifs concernés : les infrastructures de transport concédées (aéroports, services aéroportuaires, autoroutes et routes à péage, services de transport collectifs etc.) vont être particulièrement à risque en raison de leur dépendance à leurs utilisateurs, exception faite des acteurs du transport de marchandises qui assurent la continuité des approvisionnements alimentaires, matériels et sanitaires. Les grandes concessions d’infrastructures, dont certains critiquaient la rémunération excessive des concessionnaires, ont subi le choc du virus et des mesures de restriction de circulation, occasionnant des baisses de revenu substantielles, et montrant que même les concessions à maturité étaient toujours exposées au risque de trafic. S’appuyant déjà sur un financement en large partie public, les partenariats public-privé d’infrastructures sociales demeurent les actifs les moins exposés au risque, indépendamment des difficultés qu’ils peuvent rencontrer, comme l’illustre le cas des EHPAD.
Les réseaux de télécommunications, les services publics et l’électricité sont également exposés aux turbulences qui affectent la chaîne d’approvisionnement (forte sollicitation des réseaux dans le monde entier), mais leur caractère essentiel au fonctionnement des pays leur confère une certaine protection : les Etats ne pourront laisser ces services essentiels s’interrompre.
Les dénominateurs communs de la résilience
Malgré leur disparité, les actifs infrastructure sont généralement des actifs physiques et durables qui font l’objet d’une exploitation sur une période de longue durée. Reposant ainsi principalement sur des contrats fondés sur la disponibilité ou sur des concessions à longue durée et à rendements prévisibles, leur valeur économique bénéficie de la stabilité des flux de revenus attachés à la fourniture de produits et services essentiels.
Le cadre réglementaire permet aussi, selon les modèles contractuels, aux investisseurs de bénéficier en partie de revenus provenant des acteurs publics. Fort d’une solide position concurrentielle et comportant habituellement des barrières importantes à l’entrée, le secteur s’appuie donc sur une demande importante. Les principes juridiques applicables (clauses contractuelles de revoyure, principes jurisprudentiels comme le fait du prince ou l’imprévision) assurent également aux opérateurs un filet de sécurité permettant à la fois d’assurer la continuité de l’exploitation et de préserver l’opérateur.
La résilience, source d’accès à la liquidité ?
La résilience de ces actifs s’explique aussi au regard des flux de trésorerie constants ou croissants qu’ils génèrent, ce qui permet aux opérateurs d’emprunter à des taux d’intérêts moins élevés et d’offrir des rendements attractifs aux investisseurs. À titre d’illustration, malgré la crise actuelle, les groupes européens d’infrastructures de transport réussissent à obtenir de nouvelles liquidités, alors même que les chiffres du trafic diminuent. L’importance est de taille, comme en matière de private equity, les actifs les moins impactés sont ceux qui peuvent accéder le plus facilement aux liquidités disponibles.
Le niveau de risque plutôt modéré et souvent décorrélé de la volatilité des classes d’actifs traditionnels (actions et taux), le caractère essentiel pour un pays, ses habitants et ses entreprises, des actifs concernés, le niveau de liquidités disponibles, ainsi que l’espérance de rendements long terme peut rassurer les investisseurs en infrastructure en période de turbulences.
Par Alexis Hojabr et Jean-Luc Champy, associés, White & Case, partenaire du Club des juristes.