Les psychiatres connaissent le phénomène, dit d’hallucination négative, par lequel le sujet ne voit pas un objet placé devant ses yeux alors qu’aucune maladie de l’œil ou du cerveau ne l’en empêche.
Nous en sommes là. La Grande-Bretagne va déclencher un dumping fiscal et social sans précédent pour compenser les inconvénients de sa sortie de l’Union européenne. Le protectionnisme trumpien va s’épanouir à notre immédiat détriment. L’alignement miraculeux des planètes économiques (taux bas, pétrole bon marché, euro faible) va se désajuster parce qu’il ne peut pas rester longtemps ce qu’il est. Bref, notre problème de compétitivité va exploser en même temps que la situation géopolitique se compliquera et que le risque terroriste re-montera avec le retour à la maison de nos Jihadistes frustrés de victoires.
Si nous étions moins bêtes ou moins fous, nous prendrions l’affaire à bras-le-corps. Nous chercherions les bonnes parades. Nous préparerions la guerre économique qui s’annonce désormais sans fard et nous mettrions à penser à nouveaux frais notre sécurité, intérieure comme extérieure, dans ce contexte remanié. Nous tâcherions de saisir, s’il en est, les opportunités nées de la tourmente. Nous nous demanderions, par exemple, si certains pays très développés de la vieille Europe ne devraient pas en profiter pour renforcer leurs liens poli-tiques, policiers et militaires, pour harmoniser leurs impôts, leurs coûts de production, leurs standards écologiques et sociaux… Bref, à se constituer en puissance, efficace, sûre, responsable et raisonnablement compétitive dans la nouvelle jungle qui se dessine.
Mais non. Le monde se recompose sans (voire contre) nous, et nous employons tout ce que nous avons d’énergie et de talent à ne plus gloser, du soir au matin, que sur le salaire de Mme Fillon (quoi qu’il y ait lieu d’en penser en valeur absolue), à nous renvoyer des « valeurs » à la figure, à envisager (parait-il sérieusement) de dépenser trois ou quatre cent milliards d’Euros pour payer les gens à ne rien faire, de renoncer à la croissance (et donc de nous mettre, entre autres joyeusetés, dans l’incapacité absolue de soutenir notre dette), de (re)faire payer les riches comme si ça avait marché depuis cinq ans pour sauver l’économie, de con-sommer strictement français comme si nos partenaires allaient applaudir. Nous imaginons même que nos institutions gagneraient à revenir dans l’état où elles étaient sous la quatrième république…
L’hallucination négative est un délire. Celui d’un sujet qui ne veut ni voir ni savoir le réel. Celui d’un pays qui va effroyablement mal et fait tout ce qu’il peut pour ne pas s’en rendre compte. La réalité dans tout cela ? Celle d’une série de catastrophes qui s’approchent à toute allure, et contre lesquelles nous ne faisons à peu près rien, si ce n’est rêvasser et jouir, devant la télévision, au spectacle des chutes.