L’avènement d’une justice répressive « négociée » en matière financière
Si c’est parfois à partir de « signaux faibles » que s’annoncent des révolutions majeures, il n’est pas interdit d’anticiper un bouleversement rapide de la justice financière, au regard de la volonté récente, mais nette, des autorités de poursuite (Parquet National Financier et AMF) de proposer de plus en plus souvent une issue négociée aux personnes poursuivies. Ainsi, à l’issue de la phase d’enquête ou d’instruction, ces dernières se voient désormais fréquemment proposer une sanction qui, si elles l’acceptent, donne lieu à une simple homologation par la juridiction qui aurait normalement eu la charge de juger le dossier au fond.
Cette justice négociée était souhaitée depuis longtemps par les acteurs économiques, qu’il s’agisse des sociétés ou de leurs dirigeants. Ceux-ci sont en effet souvent prêts à accepter une sanction rapide plutôt que de subir les vicissitudes d’une procédure longue et à l’issue incertaine, dès lors toutefois que cette sanction n’obère pas leurs activités futures. Cette justice négociée est cependant restée longtemps anecdotique.
Pourtant, les outils procéduraux, applicables aux délits de droit commun, existaient déjà depuis de nombreuses années avec la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC), introduite en 2004, et étendue en 2011, mais ils étaient très peu utilisés en matière économique et financière.
C’est le législateur qui a donné à la justice négociée un nouveau souffle en 2016 : en juin tout d’abord, en donnant la possibilité à l’AMF de procéder à des transactions – appelées compositions administratives – en cas d’abus de marché, alors qu’auparavant seules les procédures disciplinaires pouvaient donner lieu à transaction ; en décembre ensuite, en adoptant la Convention judiciaire d’intérêt public (CJIP) dans la loi Sapin II, transposant en droit français le concept du Deferred Prosecution Agreement (DPA) américain, permettant ainsi aux personnes morales, pour certaines infractions, d’arrêter les poursuites en payant une amende, et ce sans même avoir à reconnaître leur culpabilité, à la différence de la CRPC.
Mais le véritable bouleversement est ailleurs, avec l’appropriation par les autorités de poursuite, de cette nouvelle forme de justice d’origine anglo-saxonne, pourtant fort éloignée de notre tradition judiciaire. Ces autorités ont compris tous les bénéfices qu’elles pouvaient en tirer : aller vite et éviter ainsi des procédures qui durent aujourd’hui souvent plus de 10 ans, pallier un manque de moyens matériels et humains dans des procès techniques et complexes, et surtout fixer plus facilement une forme de barêmes de sanction pour chaque type d’infraction.
Cette révolution constitue un changement de paradigme qui ne va pas sans bouleverser simultanément le rôle et la responsabilité de l’avocat dans sa mission de défense.
Tout d’abord, tandis que sa tâche consistait jusqu’alors à optimiser la défense de son client dans la perspective du procès, puisque le procès avait nécessairement lieu, l’avocat va devoir désormais s’aventurer vers une forme de justice prédictive pour dire à son client quelles sont ses chances, s’il va au procès, d’avoir une meilleure décision que ce qui lui est proposé par l’accusation avant le procès.
Ensuite, tout autant que sa capacité à construire une stratégie en vue du procès, l’avocat va également devoir devenir « négociateur » avec l’autorité de poursuite, car si l’on veut bien admettre que les deux parties, accusation et défense, ont un intérêt à une issue négociée plutôt qu’à un procès, elles auront naturellement vocation à rechercher des concessions l’une de l’autre, et plus précisément sur la nature et le quantum de la sanction pour la personne poursuivie.
Dans 10 ans, tous les dossiers financiers en matière répressive se termineront-ils par une négociation ? Probablement non, mais la proportion des affaires donnant lieu à un procès sera très certainement réduite et concernera uniquement des cas où il apparaîtra nécessaire, aux yeux de l’opinion publique qu’un procès ait lieu, ou des situations dans lesquelles l’analyse de l’accusation et celle de la défense demeureront irréconciliables, chacune assumant alors de supporter les conséquences de sa position dans l’issue incertaine du procès.