Les administrateurs le savent, le rôle du conseil d’administration d’une société anonyme ne se limite pas à celui d’un organe de contrôle de la gestion des dirigeants. Certes, le conseil d’administration a avant tout un rôle stratégique de détermination des orientations de l’activité et il ne dispose pas des pouvoirs les plus étendus pour agir en toute circonstance au nom de la société, ceux-ci revenant au directeur général. Pour autant, il peut se saisir de toute question intéressant la bonne marche de la société et régler par ses délibérations les affaires qui la concernent. Il conserve ainsi un pouvoir fort d’intervention dans les affaires sociales.
Les normes de gouvernance invitent d’ailleurs le conseil et chacun de ses membres individuellement à exercer avec diligence leurs prérogatives, en agissant dans toute l’étendue des pouvoirs qui sont les leurs. La sévérité accrue des décisions en matière de responsabilité des administrateurs y concourt.
Pour autant, le conseil d’administration doit respecter le principe de répartition légale des pouvoirs entre les organes sociaux et veiller à ne pas se substituer au directeur général. Le risque vient d’en être récemment rappelé par la Cour de cassation, dans une affaire concernant une association mais transposable aux sociétés commerciales (Crim. 30 mars 2016). Dans cette affaire, la Cour a validé la condamnation d’une personne morale pour entrave à raison de la seule décision prise par son conseil d’administration. Pour ce faire, la Cour a entériné l’appréciation de la Cour d’appel qui, en raison des circonstances de faits de l’espèce, avait assimilé l’autorisation donnée par le conseil d’administration à un directeur général de procéder à la fermeture d’un site, à une décision définitive de fermeture de ce site, alors que le comité d’entreprise ne s’était pas encore prononcé.
Cette décision surprend le praticien, qui y voit une contradiction avec le pouvoir du directeur général d’engager la société. Certes, la décision est factuelle et consacre une condamnation intervenue sur intérêts civils exclusivement. Pour autant, et pour discutable qu’il soit, cet arrêt attire l’attention sur l’approche des juridictions répressives, en l’occurrence non pas un raisonnement en droit des sociétés, mais une appréciation factuelle du caractère réversible ou non de la décision prise par le conseil.
Cette décision est l’occasion de rappeler aux membres des conseils d’administration que, de façon vraisemblablement oubliée par les réformes successives du droit des sociétés, la loi dispose encore que dans ses rapports avec les tiers, la société est engagée par les actes du conseil d’administration (L. 225-35 al. 2 C.com.). Cette scorie et cette décision doivent être des facteurs de vigilance dans la gouvernance des entreprises, et inviter les administrateurs à veiller à ne pas transformer la direction générale en simple organe d’exécution de décisions prises en conseil d’administration.