Auto-incrimination
Quel encadrement de la divulgation volontaire d’informations par les entreprises ?
Le 2 juin 2020, dans ce qu’elle ne savait pas encore être les dernières heures de son ministère, Nicole Belloubet a signé une circulaire de politique pénale en matière de lutte contre la corruption internationale.
Outre le renforcement du rôle du Parquet national financier (« PNF ») dans la détection et la répression des faits de corruption internationale, la circulaire incite les procureurs à encourager la divulgation volontaire d’informations par les entreprises.
Le succès judiciaire – et financier pour le budget de l’Etat – des 11 Conventions Judiciaire d’Intérêt public (« CJIP ») signées jusqu’ici, dont la conclusion est principalement fondée sur la reconnaissance des faits par les entités mises en cause, explique certainement ces encouragements. La CJIP conclue avec Airbus, le 29 janvier 2020, pour un montant d’amende d’intérêt public de plus de deux milliards d’euros, fut une réussite en matière de coordination avec les autorités de poursuites britanniques et américaines.
En dépit de ces premiers succès et des incitations de la circulaire, le régime juridique encadrant la divulgation volontaire d’informations en France par les entreprises demeure à ce stade trop vague pour offrir aux acteurs économiques une sécurité juridique suffisante.
Aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne, l’auto-incrimination des entreprises par la divulgation volontaire d’informations fait l’objet de procédures réellement encadrées. Que ce soit dans le cadre du Deferred Prosecution Agreement ou d’une action diligentée par le Serious Fraud Office (« SFO »), les actes attendus des entreprises en échange du différé voire de l’annulation des poursuites sont déterminés par l’autorité de poursuite. En échange d’une réduction ou d’un abandon d’amende, les lignes directrices sur la coopération des entreprises avec le SFO exigent des entreprises engagées dans un processus de coopération qu’elles assurent la transmission des informations spécifiquement demandées par le SFO pour l’affaire en cause. Il n’existe pas de liste d’actes dont la transmission est attendue, celle-ci est propre à chaque affaire. Néanmoins, les documents révélant les flux financiers démontrant les actes de corruption sont presque systématiquement requis. Aux Etats-Unis, plus les entreprises coopèrent, plus leur sera donnée la chance d’influer sur le résumé des faits présentés par l’accord. L’octroi de cette prérogative est décisif dans la mesure où l’accord est public et les faits qui y sont relatés susceptibles d’encourager d’autres juridictions à poursuivre l’entreprise, ou encore à agir en réparation des parties qui s’estimeraient lésées par les agissements en cause.
En France, la procédure d’auto-incrimination la plus développée est celle de la clémence en droit de la concurrence, qui permet une exonération totale ou partielle de l’amende encourue en échange de la dénonciation de l’existence d’une entente et de ses auteurs. Cette procédure est très encadrée et l’Autorité de la concurrence a prévu un « Formulaire de présentation d’une demande de clémence au sens du communiqué de procédure de l’Autorité de la concurrence ». Ainsi, les candidats à la clémence sont informés de ce qu’ils doivent faire afin d’en bénéficier et du sort qui leur est réservé une fois la procédure engagée.
S’agissant de la divulgation volontaire d’informations destinée à permettre la conclusion d’une CJIP, il n’existe, pour l’heure, aucune procédure déterminant les attentes des autorités de poursuites. Les entreprises ne bénéficient d’aucune information sur les faits susceptibles de faire l’objet de divulgations spontanées. D’autre part, quand bien même elles choisiraient de procéder à de telles divulgations, elles ne bénéficient d’aucune garantie sur le fait que la conclusion d’une transaction sous forme de CJIP leur sera proposée en lieu et place de poursuites pénales ni d’information sur le barème applicable aux réductions de sanctions envisageables. Enfin, en l’absence de garantie de coopération du PNF avec les autorités de poursuites étrangères, la publicité de la procédure fait risquer aux entreprises des poursuites supplémentaires de la part de juridictions étrangères.
Tant que ces éléments n’auront pas fait l’objet de précisions par la Chancellerie, l’encouragement de l’auto-incrimination risque de ne représenter guère plus qu’un vœu pieu.
Par Arthur Dethomas, avocat aux barreaux de Paris et de New York, Hogan Lovells (Paris) LLP, expert du Club des juristes.