L’Assemblée nationale a adopté en première lecture le 26 septembre dernier un projet de loi relatif à la lutte contre la fraude dont deux articles consacrent le « name and shame », autrement dit la publication des manquements graves au respect de la loi fiscale commis par certains contribuables.
Cette appellation unique recouvre en réalité deux règles distinctes. La première créerait pour le juge pénal qui prononce une condamnation en matière fiscale une obligation (alors qu’il ne s’agit aujourd’hui pour lui que d’une simple faculté) d’ordonner l’affichage et la diffusion de sa décision. Le juge pourrait toutefois décider de ne pas y procéder en justifiant cette décision par les circonstances de l’infraction et la personnalité de son auteur.
La seconde règle, totalement nouvelle dans son principe, permettrait à l’administration fiscale, après avis conforme et motivé de la commission des infractions fiscales, de publier sur son site internet les amendes ou majorations appliquées à l’encontre de personnes morales à raison de manquements graves. Ceux-ci sont définis en référence à un critère objectif, à savoir un montant de droits fraudés d’un minimum de 50 000 €. S’y ajoute un critère plus ambigu, à savoir la commission d’un abus de droit ou de manœuvres frauduleuses. La publication, qui ne pourrait excéder une durée d’un an, porterait sur la nature et le montant des droits fraudés et des pénalités appliquées, la dénomination du contribuable ainsi que, le cas échéant, l’activité professionnelle et le lieu d’exercice de l’activité. Le contribuable pourrait faire suspendre (s’il agit dans les soixante jours de la notification de la décision de publication) ou cesser (s’il agit ultérieurement) la publication en exerçant un recours portant sur les impositions et pénalités correspondantes. La suspension ou le retrait de la publication durerait jusqu’à l’intervention d’une décision juridictionnelle confirmant de manière définitive le bien-fondé de la décision de publication.
Ces deux mesures reposent sur l’objectif de stigmatisation publique des personnes qui se rendent coupables de manquements graves à la loi fiscale. Elles procèdent du constat que l’atteinte à la réputation est un risque que les entreprises craignent désormais autant, voire plus, que les sanctions financières.
Le « name and shame » fait ainsi entrer le comportement fiscal dans l’ère de la société de communication. Le défi de cette évolution est toutefois de résister à la stigmatisation incontrôlée en l’assortissant de garanties pour les contribuables. Compte tenu notamment de la grande incertitude qui accompagne la définition de l’abus de droit en matière fiscale, il est à craindre qu’une publication prématurée (au cas où le contribuable n’aurait pas exercé un recours dans un délai que la loi rend extrêmement bref) puisse produire des effets irréversibles au détriment de contribuables dont le principal tort aura finalement été de s’être montré habiles.