Exercice d’équilibriste du Conseil constitutionnel entre préservation de l’environnement et redynamisation de l’industrie
La notion de « générations futures » fait grand bruit depuis la décision 2023-1066 QPC « CIGEO » du 27 octobre 2023 sur la réversibilité du stockage des déchets radioactifs. Ce concept n’est pourtant pas nouveau. Issu de la loi « Bataille » de 1991, aujourd’hui abrogée, dite « Bataille », il figure à l’alinéa 2 de l’article L. 542-1 du code de l’environnement selon lequel « La recherche et la mise en œuvre des moyens nécessaires à la mise en sécurité définitive des déchets radioactifs sont entreprises afin de prévenir ou de limiter les charges qui seront supportées par les générations futures ».
Sur le plan constitutionnel, la Charte de l’environnement, intégrée au bloc de constitutionnalité par la révision constitutionnelle de 2005, dispose, au septième alinéa dans son préambule, « qu’afin d’assurer un développement durable, les choix destinés à répondre aux besoins du présent ne doivent pas compromettre la capacité des générations futures et des autres peuples à satisfaire leurs propres besoins ».
La décision QPC du 27 octobre 2023, s’appuie sur cette disposition du préambule de la Charte de l’environnement pour en « éclairer » l’article 1er et considérer qu’il découle de celui-ci que « lorsqu’il adopte des mesures susceptibles de porter une atteinte grave et durable à un environnement équilibré et respectueux de la santé, le législateur doit veiller à ce que les choix destinés à répondre aux besoins du présent ne compromettent pas la capacité des générations futures et des autres peuples à satisfaire leurs propres besoins, en préservant leur liberté de choix à cet égard ».
Pour être inédite en ce qu’elle reconnaît des droits effectifs à des personnes qui n’existent pas encore, cette décision n’est en pas moins assortie de garde-fous par le Conseil. Leur mise en œuvre aboutit d’ailleurs à écarter, au cas d’espèce, l’application du principe nouvellement dégagé.
Ainsi, la prise en compte du droit des générations futures n’intervient-elle que dès lors que les mesures en cause sont susceptibles de porter une atteinte grave et durable (conditions cumulatives) à l’environnement. En outre, le législateur demeure autorisé à limiter l’exercice du droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé lorsque sont en jeu des exigences constitutionnelles ou que cette limitation est justifiée par un motif d’intérêt général et est proportionnée à l’objectif poursuivi.
Cette approche nuancée permet de concilier la préservation de l’environnement et l’objectif de redynamisation de l’industrie française, condition sine qua none d’un regain de souveraineté économique dont les limites ont été cruellement mises en exergue par la pandémie de Covid 19.
La décision du Conseil s’inscrit dans la continuité de sa jurisprudence mesurée en matière environnementale. Il avait déjà jugé, s’agissant de la loi du 16 août 2022 portant mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat que « la préservation de l’environnement doit être recherchée au même titre que les autres intérêts fondamentaux de la Nation », « au nombre desquels figurent l’indépendance de la Nation ainsi que les éléments essentiels de son potentiel économique », en faisant également référence à la nécessité de « ne pas compromettre la capacité des générations futures à satisfaire leurs propres besoins ».
Tout en s’inscrivant dans une tendance à reconnaître le droit des générations futures, constatée depuis quelques années sur le plan international, les Sages font donc une application raisonnée de l’adage popularisé par Saint-Exupéry selon lequel « nous n’héritons pas la Terre de nos ancêtres, nous l’empruntons à nos enfants ».
L’actualité a rapidement donné au juge administratif l’occasion de se saisir du principe dégagé par le Conseil constitutionnel, s’agissant d’une autorisation perpétuelle, terrain d’élection idéal pour analyse environnementale menée à l’aune du droit des générations futures. Ainsi, par une ordonnance de référé (n° 2307183) rendue le 7 novembre 2023, le tribunal administratif de Strasbourg a suspendu, en raison d’un doute sérieux sur sa légalité, un arrêté par lequel le préfet du Haut-Rhin avait prolongé, pour une durée illimitée, une autorisation de stockage souterrain en couches géologiques profondes de produits dangereux, non radioactifs.