Vers une meilleure protection des lanceurs d’alerte
Depuis l’été, un projet de réforme de la loi Sapin 2 du 9 décembre 2016 est devant le Parlement. L’un des objectifs de ce projet est de renforcer la protection des lanceurs d’alerte, sujet considéré comme le parent pauvre de Sapin 2.
La proposition de loi à l’étude vise « à construire un environnement clair et protecteur », sous l’impulsion de la directive européenne du 23 octobre 2019 dont la transposition doit intervenir avant le 17 décembre 20211. Ce sont d’ailleurs deux propositions de loi qui seront examinées avant la fin de l’année : une loi ordinaire visant à améliorer la protection des lanceurs d’alerte2 et une loi organique pour renforcer le rôle du Défenseur des droits3.
On le sait, contrairement aux Etats-Unis où près de 500 millions de dollars ont été versés par la SEC à des whistleblowers au cours des 12 derniers mois, l’Europe est opposée à leur rémunération. Ce point ne devrait pas être remis en cause, la législation française préférant la prévention et la réparation.
Un des sujets au cœur du débat réside dans la définition de ce qu’est un lanceur d’alerte. Doit-on tenir compte des motivations qui l’animent ? Au-delà de sa crédibilité, peut-on faire varier la protection du whistleblower en fonction des circonstances qui entourent l’alerte ?
La proposition de loi suggère de clarifier cette définition. Actuellement, la loi impose que la personne physique agisse « de manière désintéressée et de bonne foi ». Le critère du désintéressement, quoiqu’issu de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme, est pointé du doigt comme trop ambigu et parfois accusé de priver certains lanceurs d’alerte d’une protection légitime. Pensons par exemple au salarié qui effectue un signalement en étant par ailleurs en litige avec son employeur4. Un salarié qui réclame des indemnités aux prud’hommes est-il réellement désintéressé ?
Le texte à l’étude écarte la référence au désintéressement au profit de l’exigence d’une absence de « contrepartie financière directe », moins restrictive. Si cette définition devait voir le jour, sous réserve qu’aucune contrepartie financière directe n’existe au signalement, les mobiles du lanceur d’alerte devraient moins entrer en ligne de compte.
Les lanceurs d’alerte se verraient ensuite mieux protégés, contre les représailles et les procédures judiciaires dites « bâillons ». Le texte prévoit des sanctions civiles ou pénales à l’encontre de ceux qui chercheraient à étouffer le signalement, divulgueraient l’identité d’un lanceur d’alerte ou viseraient à l’ensevelir sous des procédures abusives. Le texte propose par ailleurs d’améliorer la protection de tous ceux qui auraient accompagné le lanceur d’alerte dans sa démarche et qui risquent de se retrouver exposés.
Les représailles à l’égard d’une personne en raison de sa qualité de lanceur d’alerte seraient désormais punies de 3 ans d’emprisonnement et de 45.000 € d’amende. Seraient également nuls toute suspension, mise à pied, licenciement, rétrogradation ou refus de promotion.
Les autorités compétentes pourraient par ailleurs accorder au lanceur d’alerte un « secours financier temporaire » si elles estiment que sa situation financière s’est gravement dégradée en raison du signalement.
Enfin, le Défenseur des droits pourrait également recevoir des signalements, à charge pour lui de les transmettre à l’autorité la mieux à même de les traiter. Le lanceur d’alerte pourrait même dans certains cas divulguer publiquement ses informations.
Si l’intention du législateur est louable, il faut toutefois souhaiter que des garde-fous soient mis en place pour éviter que des personnes mal intentionnées détournent ce régime protecteur pour tenter de déstabiliser une entreprise.
En faisant le choix d’une transposition ambitieuse de la directive, la France souhaite montrer, à la veille de son arrivée à la présidence de l’Union européenne le 1er janvier prochain, qu’elle est en mesure de fixer un cadre de référence international de protection des whistleblowers.
1 Directive 2019/1937 du 23 octobre 2019 sur la protection des personnes qui signalent des violations du droit de l’Union.
2 Proposition de loi visant à améliorer la protection des lanceurs d’alerte, n° 4398, déposée le 21 juillet 2021.
3 Proposition de loi organique visant à renforcer le rôle du Défenseur des droits en matière de signalement d’alerte, n° 4375, déposée le 15 juillet 2021.
4 Rapport d’information sur l’évaluation de l’impact de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite « loi Sapin 2 », 7 juillet 2021.
Par Arthur Dethomas, avocat aux barreaux de Paris et de New York, ancien secrétaire de la Conférence, associé au cabinet Hogan Lovells (Paris) LLP, Expert du Club des juristes.