Corruption – La nouvelle proposition de directive européenne sur la lutte anti-corruption, un projet ambitieux sauf pour la France
La proposition de directive anti-corruption de la Commission européenne présentée le 3 mai dernier arrive dans un contexte paradoxal pour l’institution elle-même.
D’un côté, elle est le fruit d’une position politique forte, celle du discours de l’Union européenne d’Ursula von der Leyen, qui en faisait la mesure phare de son plan annuel en septembre dernier. De l’autre, elle est présentée au Parlement européen au moment même où certains de ses députés sont sous le feu de graves accusations de corruption dans l’affaire du Qatargate. Elle demeure l’aboutissement d’un travail approfondi, à en juger par la teneur de l’exposé des motifs et les nombreuses consultations préalables.
La compétence de l’UE s’établit sur l’article 83 du TFUE qui lui permet d’établir des règles minimales dans des domaines de criminalité particulièrement grave revêtant une dimension transfrontalière. La corruption compte évidemment au nombre de ces « eurocrimes », à plus forte raison lorsqu’ils tirent profit de cet espace de libre-échange aux règles insuffisamment harmonisées, les États membres ne faisant pas preuve du même engagement dans la lutte contre la corruption. C’est donc sans nul doute à la maille européenne qu’un phénomène aussi complexe que la corruption doit être à la fois prévenu et traité.
Sept points saillants ressortent du dispositif minimum proposé par la Commission aux États membres :
– Un volet préventif mis en valeur dans l’exposé des motifs, mais concrètement limité à la mise en place de mesures de transparence quant aux situations de conflits d’intérêts et au patrimoine des agents publics, d’encadrement des interactions entre les secteurs publics et privés et de mise en œuvre de campagnes de sensibilisation ;
– La mise en place d’organismes indépendants, spécialisés dans la prévention, d’une part, et la répression de la corruption, d’autre part, munis de ressources appropriées ;
– Un élargissement des infractions de probité aux trafics d’influence, abus de fonction ou enrichissement illicite lié à la corruption ;
– La responsabilité pénale des personnes morales, y compris sur le fondement d’un défaut de surveillance d’une personne décisionnaire, avec une peine d’amende maximale fixée à 5 % du chiffre d’affaires mondial de l’entreprise ;
– Un régime de circonstances atténuantes incluant la prise en compte judiciaire de la bonne coopération, du programme de conformité et de l’autorévélation des faits délictueux ;
– Un délai de prescription du délit de corruption d’agent public établi à 15 ans minimum (10 ans pour la corruption privée) ;
– Et enfin une collecte de statistiques fine à publier annuellement par chaque État.
À la lecture de ces mesures minimales, la France apparaît comme l’État membre le plus avancé, avec l’essentiel du dispositif déjà en œuvre. On regrettera à ce titre l’absence de perspectives sur l’instauration de transactions pénales telle que la convention judiciaire d’intérêt public (CJIP), qui permettrait d’efficaces résolutions conjointes. Si des points de procédure pénale pourraient poser problème, comme le délai de prescription à 15 ans minimum contre un délai butoir actuel de 12, les aspects de prévention paraissent d’ores et déjà à l’œuvre, sous l’impulsion de la loi Sapin 2 (L. n° 2016-1691, 9 déc. 2016 : JCP G 2017, prat. 128, En questions par A. Mignon-Colombet et S. Hannedouche-Leric) et de l’Agence française anticorruption (AFA). L’apport indéniable de ce projet réside toutefois dans l’articulation enfin advenue de la compliance et du pénal : les plans de conformité des entreprises seront pris en compte par la procédure pénale. Notons également l’extension de la compétence territoriale des États membres aux délits commis pour le bénéfice d’une personne morale établie en UE. C’est certes la façon dont seront mises en œuvre ces mesures qui déterminera la qualité de ce standard européen, mais on peut d’ores et déjà s’attendre à de sérieuses difficultés dans l’adoption du texte.
Certains États membres n’ont pas répondu à la consultation en amont quand d’autres se montreront rétifs à adopter le texte sans l’amender copieusement, tant la matière est régalienne. Nous verrons prochainement si l’agenda d’un Parlement déjà surchargé par les questions de durabilité lui permettra de voter ce texte avant le renouvellement de ses députés en juin 2024. Il restera alors 18 mois aux États membres pour s’y conformer.
Corruption, par Charles-Henri Boeringer, associé Clifford Chance et Jean Chuilon-Croll, juriste Clifford Chance