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Déréférencement, par Francis Donnat, avocat associé Baker McKenzie, expert du Club des juristes

Déréférencement – Droit à l’oubli et fake news, le déréférencement des informations manifestement inexactes

Pierre par pierre, la Cour de justice de l’Union européenne continue à construire un « droit du déréférencement » au profit des internautes, imposant symétriquement plus d’obligations aux exploitants de moteurs de recherche. Ainsi que l’on sait, l’arrêt à l’origine de cette ligne jurisprudentielle est celui du 13 mai 2014 (CJUE, 13 mai 2014, aff. C-131/12, Google Spain et Google :  JCP G 2014, 768, note L. Marino) par lequel la Cour a jugé que l’exploitant d’un moteur de recherche, saisi d’une demande tendant à ce qu’un lien vers une page internet soit déréférencé de la liste des résultats d’une recherche effectuée à partir du nom d’une personne, doit faire droit à cette demande sauf si, après une mise en balance entre le droit au respect de la vie privée de celui dont le nom est l’objet de la recherche et le droit des internautes à accéder à l’information, ce dernier l’emporte, par exemple lorsqu’il s’agit d’une personnalité publique.

Que se passe-t-il lorsque le contenu référencé est inexact ? C’est à cette question que la Cour de justice répond dans l’arrêt rendu le 8 décembre 2022 (CJUE, 8 déc. 2022, aff. C-460/20, TU et RE/ Google : JurisData n° 2022-020899) dans une affaire où était en cause le référencement d’articles dénigrant des sociétés d’investissements, articles illustrés de vignettes photographiques montrant les dirigeants de ces sociétés au volant de véhicules de luxe.

Le raisonnement de la Cour est simple : dans la mise en balance entre droit au respect de la vie privée et droit à l’information, le rapport doit s’inverser lorsque le contenu référencé est inexact. En effet, dit la Cour, le droit d’informer et le droit de l’être ne sauraient alors être pris en compte, car ils ne peuvent inclure le droit de diffuser de telles informations et d’y avoir accès. Autrement dit, il ne saurait y avoir, au regard du référencement, ni droit à désinformer ni droit à être désinformé.

La Cour précise également le modus operandi. Il appartient à celui qui sollicite le déréférencement d’établir l’inexactitude « manifeste » des informations figurant sur la page référencée, en fournissant des éléments raisonnables de preuve, mais sans être tenu de produire, à l’appui de sa demande, une décision juridictionnelle obtenue contre l’éditeur du site Internet en cause. Le moteur de recherche, pour sa part, est tenu de faire droit à la demande de déréférencement au regard d’éléments de preuve pertinents et suffisants, aptes à établir le caractère manifestement inexact des informations figurant dans le contenu référencé.

La Cour précise que l’exploitant du moteur de recherche n’a pas à enquêter lui-même sur les faits, ce qui non seulement ferait peser sur lui une charge disproportionnée mais encore comporterait le risque de voir des contenus utiles être déréférencés par excès de prudence : la liberté d’expression et d’information se trouverait compromise si le moteur de recherche procédait quasi systématiquement au déréférencement dans le seul souci d’éviter d’avoir à enquêter sur les faits pertinents. On reconnaît là le raisonnement suivi par le Conseil constitutionnel dans sa censure de la proposition de loi Avia au motif principal qu’elle comportait un risque de sur-censure de la part des plateformes (Cons. const., 18 juin 2020, n° 2020-801 DC : JurisData n° 2020-008442. – V. F. Donnat, Quand inciter les plateformes à “sur-censurer” porte atteinte à la liberté d’expression : Le club des juristes, 22 juin 2020). Complétant son raisonnement, la Cour de justice précise par ailleurs qu’il serait disproportionné de déréférencer des articles dont seuls certains éléments mineurs seraient inexacts, ce qui est assurément de bon sens mais fera peser sur les moteurs de recherche une tâche bien délicate…

S’agissant enfin des vignettes photographiques des articles en cause, la Cour juge qu’il y a lieu de tenir compte de leur valeur informative propre, indépendamment du contexte de leur publication, et distingue deux hypothèses : alors qu’un refus de déréférencer les articles serait sans préjudice sur le sort à réserver à la demande visant les vignettes, le déréférencement des articles emporterait, en revanche, l’obligation de supprimer également l’affichage des vignettes, et ce afin de ne pas compromettre l’effet utile du déréférencement des articles. La consolidation du droit à l’oubli participe ainsi, grâce à cet arrêt de la Cour de justice, à la lutte contre la désinformation

Francis Donnat, avocat associé Baker McKenzie, expert du Club des juristes

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