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Conflit d’intérêts, par Anne-Sophie Schimpf et Benjamin Hecker

Nemo in rem suam auctor esse potest

Vieux comme le monde, le conflit d’intérêts est un facteur de risque en matière de lutte contre la corruption. Aujourd’hui, la prise de conscience de plus en plus aiguë de l’importance de l’éthique, de la déonto- logie et de la responsabilité sociale dans le monde des affaires, et la publication récente d’un guide par l’Agence Française Anticorruption (AFA) sur « La prévention des conflits d’intérêts dans l’entreprise » en font un sujet brûlant d’actualité. Ce guide est d’autant plus important qu’une définition légale ou jurisprudentielle du conflit d’intérêts dans le secteur privé n’est à ce jour toujours pas donnée. Néanmoins, des indices, articles, jurisprudences et même lois permettent d’en dessiner les contours.

Nous pourrions résumer le conflit d’intérêts à « résister à la tentation ». Reflet d’une forme de « faiblesse humaine », il repose sur quatre éléments fondamentaux : 1. l’existence d’un intérêt personnel, passé, présent ou futur, tel que l’avantage que l’inté- ressé peut obtenir ; 2. un intérêt supérieur que l’intéressé est supposé défendre, celui du cocontractant, du bénéficiaire d’un service, ou même l’intérêt social de l’entreprise ; 3. une oppo- sition entre ces intérêts, le dilemme de céder à l’un et porter atteinte à l’autre ; et 4. le risque, l’influence que pourrait avoir l’intérêt personnel pour pousser à la transgression.
Le conflit peut être ponctuel ou général, potentiel ou effectif. Nul besoin qu’il soit avéré pour exister. Dans l’entreprise, il fait écho à la loyauté et l’impartialité attendues de tous dans l’exer- cice des missions confiées.

Quand bien même la gestion de ces conflits ne constitue pas une mesure visée au II de l’article 17 de la loi Sapin 2, sa prise en compte permet de consolider son programme anticorruption, de préserver l’entreprise contre de potentielles poursuites judi- ciaires et de renforcer la confiance de ses collaborateurs et tiers. Du lien personnel entre un candidat à une embauche et sonrecruteur, aux liens d’intérêts personnels entre un responsable achats avec la société chargée de lui fournir des produits, ou du dirigeant qui exerce son pouvoir en servant ses intérêts propres, le risque de conflits d’intérêts serait-il partout ?

Pour localiser ces risques, identifier les situations et les maîtriser, le guide de l’AFA recommande différentes étapes.

La première est l’exercice de cartographie. Elle peut être dédiée, intégrée dans celle des risques de corruption ou dans une cartographie globale des risques opérationnels. Elle s’appuie sur une démarche d’identification. L’exercice est complexe, les liens d’intérêts n’étant pas toujours identifiables ; pragmatisme et identification des populations exposées aux risques, des fonctions, processus et opérations sensibles pour l’entreprise sont donc de rigueur. De cette phase d’identification pourra s’élabo- rer un programme de prévention et de gestion, articulé autour de principes portés par la direction de l’entreprise et repris, de préférence, dans le code de conduite, en insistant notamment sur la volonté de maîtrise des risques de conflits.
À l’appui de ces principes, un renforcement de la transparence et traçabilité des politiques concernées de l’entreprise doit être mis en œuvre. Auprès des collaborateurs et tiers, des déclarations autonomes de possibles situations de conflits doivent être instaurées, des engagements contractuels dédiés noués. Une rotation des fonctions sensibles est suggérée. Un tel dispositif ne saurait prospérer sans l’adhésion des collaborateurs et parte- naires. L’organisation de sessions de formation et de sensibilisation, permettant de mieux appréhender le risque et ses conséquences, est déterminante. En effet, certains actes pourraient être frappés de nullité, la responsabilité des personnes ou même des sanctions disciplinaires, engagées.

Enfin, des mesures de remédiation adaptées doivent être pré- vues, notamment un contrôle hiérarchique renforcé, un dessaisissement du collaborateur concerné, un renforcement de la collégialité des décisions, ou encore la validation conditionnée du projet. Une gestion efficace, transparente et proportionnée du risque de conflit d’intérêts doit permettre de maintenir la confiance et la loyauté nécessaire au monde des affaires.
Des quatre étapes la première est cruciale car de son succès découle le reste du processus, succès qui ne peut être garanti qu’en fédérant toutes les activités de l’entreprise.

Par Benjamin Hecker, Chief Legal Officer, Huawei Technologies France et Anne-Sophie Schimpf, Legal Counsel, Huawei Technologies France

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