Cette décision d’interdiction de la fusion apparaît comme l’une des plus controversées jamais adoptées par la Commission européenne.
C’est finalement sans surprise que la Commission européenne a rejeté le 6 février le projet de fusion entre Alstom et Siemens qui aurait donné naissance à un champion européen du ferroviaire, à même de pouvoir faire face à toute concurrence future, y compris chinoise.
Selon la Commission, la concentration aurait réduit de manière trop significative la concurrence sur les marchés des trains à très grande vitesse et de la signalisation ferroviaire, les engagements proposés par les sociétés ayant été jugés insuffisants pour répondre de manière pérenne à ces préoccupations de concurrence.
Les risques de hausse des prix pour les clients et de réduction de l’innovation étaient trop importants compte tenu de la faible concurrence à laquelle l’entité fusionnée aurait fait face en Europe, la concurrence pouvant être exercée dans le futur par le numéro un mondial, le chinois CRRC, ayant été jugée trop incertaine dans son principe et son calendrier.
Cette décision d’interdiction apparaît, cependant, comme l’une des plus controversées jamais adoptée par la Commission. Les pressions politiques, manifestement inutiles, voire même contre-productives, exercées par Paris et Berlin, au nom, notamment, d’un intérêt supérieur de l’Europe, ont été suivies, dès après son adoption, par un véritable plaidoyer pour une réforme des règles de concurrence, dont l’insertion d’un critère de politique industrielle.
Manifeste pour une véritable politique industrielle européenne
Bruno Le Maire, ministre de l’Economie, a qualifié le droit européen d’« obsolète ». Son homologue allemand, Peter Altmaier, a également estimé que l’Europe devait modifier ses règles de concurrence afin de permettre la création, par concentration, de champions européens sectoriels. Suite à ces déclarations, les deux ministres ont publié le 19 février un manifeste commun proposant plusieurs changements visant à favoriser la prise en compte et, donc, l’émergence d’une véritable politique industrielle, dont l’octroi au Conseil européen d’un droit de veto sur les décisions de la Commission (sorte de Phase III, en partie semblable aux procédures allemande et française actuelles). Ils estiment également nécessaire le risque concurrence soit apprécié de façon plus prospective et à l’échelle mondiale et plus seulement européenne.
Si un tel discours peut certainement trouver un écho favorable dans les deux pays à l’heure où un Brexit dur se profile et où les relations avec l’Italie se sont fortement dégradées, une telle réforme semble pourtant encore bien hypothétique. En effet, toute modification du règlement concentrations exigerait un vote unanime des 28 Etats membres, dont les plus petits, aux intérêts différents du couple franco-allemand moteur de l’UE.
Dès lors, et pour un certain temps encore au moins, les concentrations continueront d’être strictement examinées sous l’empire du seul critère actuel de « l’entrave significative à une concurrence effective dans le marché commun, notamment du fait de la création ou du renforcement d’une position dominante ».
Dans l’intervalle, et au-delà de la réaction d’Alstom et Siemens à la décision de la Commission, dont elles ont encore la possibilité de faire appel, il sera intéressant d’observer dans les prochains mois et années l’évolution des deux groupes ainsi que de leur concurrent chinois CRRC dont toute entrée prochaine sur le marché européen ne manquerait pas de relancer les débats à l’encontre de la décision de la Commission.
Par Lionel Lesur, avocat associé du cabinet McDermott Will & Emery, partenaire du Club des Juristes