« Les événements ne sont que l’écume des choses », écrivait Paul Valéry : et si le nouveau changement de paradigme dans la régulation de la durabilité était une manifestation superficielle d’une transformation plus profonde des modèles d’affaires ?
Attendue depuis plusieurs mois, la directive Omnibus récemment présentée par la Commission européenne (Comm. UE, COM(2025) 81 final, 26 févr. 2025), suscite des réactions contrastées entre ceux qui y voient une menace pour les engagements de durabilité et ceux qui estiment que les entreprises maintiendront l’intégration de ces enjeux dans leurs stratégies. Il est certain que la directive Omnibus et les textes associés redéfinissent la place des entreprises face à cette évolution de la régulation. Toutefois, un équilibre pourrait émerger entre simplification administrative et poursuite des ambitions, faisant de la règle juridique un compromis dynamique et favorisant l’appropriation collective des enjeux de durabilité.
Plutôt qu’un recul, cette réforme est en effet un « moment d’opportunité » pour les acteurs économiques souhaitant affirmer leur position. Elle marque un glissement vers un cadre juridique où la régulation cède du terrain à l’engagement volontaire. Certes, le relèvement des seuils d’application réduit le nombre d’organisations soumises aux obligations de reporting. Cela ne signifie pas une absence de contrôle. Les acteurs économiques restent impliqués dans des chaînes de valeur où la durabilité est devenue un critère central. Sans obligation directe, la pression des parties prenantes – clients, investisseurs, régulateurs – s’intensifie.
Cette évolution rappelle celle du secteur bancaire après 2008 : face aux nouvelles normes de prudence financière (Bâle III), les banques n’ont pas seulement appliqué les règles imposées, elles ont également construit leur propre cadre de gestion des risques, parfois plus strict que celui du régulateur. De même, les organisations ne se contentent plus d’une conformité minimale aux réglementations ESG (Environnement, Social et Gouvernance) : elles intègrent la durabilité dans une logique stratégique, façonnée par la pression du marché et par l’anticipation des attentes sociétales. À l’instar des banques, les organisations qui anticipent ces enjeux transforment la réglementation.
Ce basculement confirme le caractère vivant du droit : les nouvelles normes ne sont plus uniquement législatives ou réglementaires, elles sont aussi économiques et sociétales, illustrant l’émergence progressive d’un droit hybride entre soft et hard law. L’affaiblissement perçu de la contrainte légale ne signifie pas la disparition de la durabilité des stratégies d’entreprises. Les engagements ESG déjà pris seront difficiles à inverser, car ils structurent la relation de ces dernières, notamment avec les investisseurs, salariés et consommateurs.
Si la réduction du périmètre de la CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive : PE et Cons. UE, dir. 2022/2464, 14 déc. 2022) est un signal politique fort, elle ne supprimera pas les attentes de ces parties prenantes ni les dynamiques de marché qui exigent de toute façon une transparence accrue. Le principe de double matérialité demeure, les normes ESRS restent structurantes, et la CSRD simplifiée n’exonèrera pas les organisations de leur responsabilité, tant juridique que réputationnelle. C’est pourquoi il appartient désormais aux acteurs économiques de décider de la place qu’ils donnent aux stratégies ESG dans leur modèle d’affaires, non plus sous la contrainte mais comme levier de différenciation. La directive Omnibus, loin d’un simple allègement réglementaire, constitue une reconfiguration. Plutôt qu’un recul, elle met en lumière un cadre nouveau privilégiant l’initiative et l’influence de l’écosystème sur la coercition. Un cadre de conviction(s).
La question n’est plus de se conformer ou non mais de prendre position et d’anticiper dans un contexte où la compétitivité réside aussi dans la crédibilité de l’entreprise, en particulier auprès de ses investisseurs et de ses partenaires financiers. Ce tournant ne met pas fin à la durabilité, il marque l’écart entre les entreprises qui transforment la situation actuelle en avantage, notamment concurrentiel, et celles qui minimiseront leurs engagements. La directive Omnibus rappelle que la durabilité est un levier stratégique et oriente les organisations vers une voie où elles ne sont plus seulement soumises au droit mais participent activement à sa construction.