Télétravail
2020 : année 0
« Toute forme d’organisation du travail dans laquelle un travail qui aurait également pu être exécuté dans les locaux de l’employeur est effectué par un salarié hors de ces locaux de façon volontaire en utilisant les technologies de l’information et de la communication. » (C. trav., art. L. 1222-9).
Pour des raisons sanitaires évidentes, le télétravail (3 % de télétravailleurs réguliers en 2017) a incontestablement été un marqueur essentiel des relations du travail en 2020. Le dynamisme des partenaires sociaux en la matière est d’ailleurs patent : plus de 1200 accords d’entreprise sont recensés sur ce thème en 2020 et un nouvel accord national interprofessionnel (ANI), peu normatif, a été conclu le 26 novembre dernier. Cette dynamique est probablement appelée à durer au-delà des recommandations appuyées des autorités publiques à en faire le mode d’organisation privilégié. Les accords collectifs récemment conclus justifient ainsi la mise en œuvre de ce dispositif par des raisons les plus diverses : la diminution des émissions polluantes, la réduction des temps de transport, la réponse aux aspirations personnelles et l’attractivité de l’entreprise, la transformation digitale et organisationnelle, l’amélioration de la productivité, l’emploi des travailleurs handicapés, etc.
Ce dynamisme conventionnel s’explique aussi par le caractère succinct du régime légal, qui tient en trois articles du code du travail (L. 1222-9 à L. 1222-11). Or, si le télétravail peut être mis en place indifféremment par un accord collectif, une charte élaborée par l’employeur après avis du comité social et économique, ou un accord formalisé « par tout moyen » avec le salarié concerné, nombreuses sont les questions à trancher dans l’organisation de ce dispositif.
Il en va d’abord ainsi de l’éligibilité au télétravail. Sur ce point, l’ANI du 26 novembre n’institue aucun « droit » au télétravail, qui reste subordonné (sauf circonstances exceptionnelles) à un double volontariat. Mais des critères divers d’éligibilité peuvent être imaginés et paraissent en pratique d’autant plus légitimes qu’ils résultent d’un accord collectif : une ancienneté dans l’entreprise ou dans le poste peut être exigée si l’on considère que le télétravail suppose une relation bien établie avec l’intéressé ; il peut être réservé à des catégories professionnelles spécifiques et nécessite à la fois que le salarié en soit professionnellement capable (autonomie) et que le poste qu’il occupe soit compatible avec une telle organisation. Enfin des critères de priorité peuvent être instaurés.
Le régime du télétravail doit également être précisé. La loi évoque notamment les conditions de passage en télétravail et de retour en présentiel (réversibilité) ; les modalités d’acceptation du salarié ; de contrôle du temps de travail ou de régulation de la charge de travail ; les plages horaires. Mais il faut ajouter des questions telles que son caractère occasionnel ou régulier, le nombre de jours (souvent de 1 à 3 hebdomadaire, mais il existe aussi des forfaits annuels ou la pratique du télétravail à 100%) et le positionnement des jours de télétravail, la définition du lieu (résidence principale ou partout dans le monde ?), les facultés éventuelles de modification, annulation, report de jours, ou encore les équipements mis à la disposition du télétravailleur. La problématique de la prévention de l’isolement du télétravailleur et du maintien du lien social s’est également imposée.
L’indemnisation éventuelle du télétravail doit enfin être posée. L’ANI du 19 juillet 2005 stipulait que « l’employeur prend en charge, dans tous les cas, les coûts directement engendrés par ce travail, en particulier ceux liés aux communications ». Celui du 26 novembre 2020 rappelle qu’en principe « les frais engagés par un salarié dans le cadre de l’exécution de son contrat de travail doivent être supportés par l’employeur » et que ce principe « s’applique à l’ensemble des situations de travail ». Mais il devrait rester loisible à l’accord d’entreprise de s’écarter de ces principes, dès lors que, depuis 2017, cet accord prime, sauf exceptions, sur les autres sources conventionnelles. Reste la question de l’occupation du domicile, et de son éventuelle indemnisation qui ne devrait en principe pas se poser, en raison du double volontariat et sous réserve de la réversibilité du télétravail.
Par Jean-Michel Mir, Avocat Associé, et Jean-Benoît Cottin, Avocat, CAPSTAN Avocats, partenaire du Club des juristes