Projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire : beaucoup de bruit pour rien ?
Alors que l’article 3 de la première mouture du projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire prévoyait simplement d’ajouter à l’article préliminaire du Code de procédure pénale un alinéa limitant son respect au « secret professionnel de la défense », la dernière version adoptée en commission mixte paritaire le 21 octobre, tout en rappelant que le secret professionnel est également opposable en matière de conseil, est venu en restreindre maladroitement la portée. Il prévoit en effet d’introduire un nouvel article 56-1-2 au Code de procédure pénale offrant la possibilité de lever le secret dans l’hypothèse où (i) les échanges avocat-client permettraient d’établir la preuve « de leur utilisation aux fins de commettre ou de faciliter la commission » de certaines infractions (fraude fiscale, financement d’une entreprise terroriste, corruption, trafic d’influence et leur blanchiment) et (ii) « l’avocat a fait l’objet de manœuvres ou actions aux fins de permettre, de façon non intentionnelle, la commission, la poursuite ou la dissimulation d’une infraction ».
Nonobstant le caractère fort peu intelligible de cette dernière exception « d’instrumentalisation » de l’avocat par son client, dont on peut espérer qu’elle sera précisée par le Gouvernement, faut-il pour autant voir dans ce texte une menace pour l’État de droit ? On peut en douter. Tout d’abord, parce que son champ d’application ne concerne que la « procédure pénale ». Ensuite, et surtout, parce qu’il a le mérite de rappeler que l’article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971 protège le secret professionnel « de la défense et du conseil » et, ainsi défini, de le rendre opposable à tous les stades de la procédure. Ce faisant, le nouvel article préliminaire pourrait bien obliger la chambre criminelle de la Cour de cassation à abandonner sa conception restrictive, pour ne pas dire contra legem, de l’article 66-5 selon laquelle ne bénéficieraient de cette protection que les échanges avocat-client liés à l’exercice des droits de la défense (Cass. crim., 20 janv. 2021, n° 19-84.292). Cela serait d’autant plus souhaitable que la chambre commerciale admet quant à elle, sans distinction aucune, la protection à toutes les correspondances entre l’avocat et son client (Cass. com., 4 nov. 2020, n° 19-17.911). Or, rien ne justifie de traiter différemment des documents adressés par un avocat à son client (et inversement) selon qu’ils ont été saisis dans le cadre d’une enquête menée par l’Autorité de la concurrence (compétence de la chambre criminelle) ou par l’Autorité des marchés financiers (compétence de la chambre commerciale).
Concernant le nouvel article 56-1-2 en revanche, on peut s’interroger sur l’utilité même de la restriction qu’il énonce en matière de fraude fiscale, de corruption, de trafic d’influence et de financement du terrorisme. L’avocat qui assisterait son client dans l’élaboration d’un montage fiscal frauduleux serait complice de l’infraction et ne pourrait, déjà aujourd’hui, opposer le secret. L’incertitude porte davantage sur la corruption et le trafic d’influence, plus particulièrement au regard de la mise en place des programmes de conformité qui, intervenant en amont de la procédure judiciaire, pourraient difficilement être rattachés aux droits de la défense.
On peut en définitive regretter l’absence de réflexion sur l’adoption d’un véritable legal privilege à la française. Loin d’étendre démesurément la protection comme on l’entend parfois, le legal privilege s’attache davantage au contenu de l’échange (une prestation juridique) qu’à l’identité de son auteur. Mais cela supposerait également de s’interroger sur le sort à réserver aux juristes d’entreprises, dont les recommandations sont en général protégées par le legal privilege. Dans un contexte de concurrence exacerbée entre les systèmes juridiques la France ne pourra éviter encore longtemps une réflexion globale sur cette problématique devenue un vrai handicap pour ses entreprises. La clôture des débats n’est pas encore d’actualité.
Par Grégoire Bertrou, avocat associé Willkie Farr & Gallagher LLP, partenaire du Club des juristes.