Le secret professionnel constitue l’un des fondements de la profession d’avocat – dont on imaginerait qu’il s’impose avec évidence à tous les acteurs de l’État de droit.
À cette évidence souhaitée s’oppose toutefois le constat de vacillements tout aussi patents du caractère « général, absolu et illimité dans le temps » du secret professionnel, affectant aussi bien le degré de la protection offerte que l’étendue de son périmètre.
À la suite de vifs débats, la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire, avait introduit au dernier alinéa du III de l’article préliminaire du CPP la garantie du « respect du secret professionnel de la défense et du conseil » – toutefois immédiatement limitée « au cours de la procédure pénale dans les conditions prévues par le présent code » (V. JCP G 2021, doctr. 1184, Le Mot de la Semaine par G. Bertrou). Le Conseil constitutionnel, dans une décision n° 2022-1030 du 19 janvier 2023, s’est prononcé en faveur de l’exclusion des activités de conseil du périmètre de la protection efficace. Son raisonnement s’appuyait sur : une analyse de proportionnalité soulignant que les seuls documents couverts par le secret du conseil susceptibles d’être saisis sont ceux utilisés aux fins de commettre des infractions de nature fiscale, d’atteinte à la probité ou liées au financement du terrorisme ; et une appréciation a contrario sur le fondement du respect du secret de la défense qui demeurerait préservé.
Le Conseil a de surcroît à cette occasion rappelé sa jurisprudence selon laquelle « aucune disposition constitutionnelle ne consacre spécifiquement un droit au secret des échanges et correspondances des avocats ».
Un tel raisonnement n’a pas manqué d’être critiqué, tant parce qu’à l’application d’un principe intangible de protection du secret, il substitue le jeu glissant d’exceptions susceptibles d’évoluer en fonction des circonstances, que du fait du caractère artificiel de la division entre les activités de défense et de conseil – la confidentialité de celles-ci étant une condition sine qua non de l’accès au droit.
Cette approche restrictive du secret professionnel des avocats se heurte enfin aux réalités d’une pratique profondément internationalisée. Les praticiens ont désormais le réflexe acquis d’informer dès que possible leurs clients que des notions telles que la tenue d’échanges « without prejudice » ou bien le « legal privilege » étendu des conseils juridiques internes, n’ont pas en France le caractère d’automaticité auquel ces clients – y compris français – sont habitués. Au-delà de ces précautions préalables, se pose la question de l’opposabilité du secret professionnel des conseils étrangers lorsque son champ diffère de celui des avocats français. Une telle reconnaissance constitue un facteur essentiel de la sécurité et de la prévisibilité juridiques recherchées par les entreprises et partant, de l’attractivité juridique de la France.
Il est à cet égard encourageant de constater que s’élabore, sous l’égide notamment de la CJUE, une approche unifiée – et extensive – du secret professionnel des avocats. La CJUE a ainsi rappelé dans un arrêt du 29 juillet 2024 (aff. C-623/22) que les échanges entre un avocat et son client font l’objet d’une « protection renforcée » « garantie au niveau de l’Union sur le fondement des articles 7 et 47 de la Charte [des droits fondamentaux de l’UE] ».
La CJUE convoque à cet égard la jurisprudence de la Cour EDH rendue sur le fondement de l’article 8 (1) de la Convention EDH pour inclure expressément les activités de conseil dans le champ de la protection offerte par le secret professionnel, en énonçant que : « À l’instar de cette disposition, dont la protection recouvre non seulement l’activité de défense, mais également la consultation juridique, l’article 7 de la Charte garantit nécessairement le secret de cette consultation juridique, et ce tant à l’égard de son contenu que de son existence ».
Gageons que cette approche européenne, encore en construction, est susceptible d’infléchir, sur le fondement de la conventionnalité, la position exprimée par le Conseil constitutionnel – et partant, d’offrir un puissant moyen de défense d’un secret professionnel étendu et véritablement efficace.sjg2436_Mds