La loi sur le secret des affaires : à la recherche de l’équilibre impossible.
Ça y est ! La loi sur le secret des affaires a été définitivement adoptée par le parlement. Le texte aura déchainé les passions. Il n’est pourtant jamais que la transposition a minima d’une directive européenne de 2016 que la France était tenue d’introduire dans notre droit. Il n’empêche, les débats auront été suffisamment vifs pour qu’à l’heure où nous écrivons ces lignes, le suspense plane encore sur la constitutionnalité de la réforme. Des parlementaires reprochent au texte l’atteinte disproportionnée qu’il porterait au droit à la liberté d’expression. Que faut-il en penser ? La question n’est pas nouvelle. Depuis de nombreuses années, le droit au secret est invoqué par les entreprises. Elles le fondent, entre autres, sur le droit au respect de la vie privée des personnes morales, et donc sur l’article 8 de la Convention européenne. On lui oppose le droit à l’information et la transparence, assis, pour sa part, sur l’article 10 du traité. Ce débat, qui semblait tourner à vide, a pris un tour nouveau à la suite du constat fait par la Commission européenne de ce que les entreprises de l’Union, faute de législation cohérente et harmonisée sur le sujet, se trouvaient désavantagées pour la protection de leurs secrets économiques face à leurs homologues internationaux. En effet, des études ont montré que, par crainte d’avoir à divulguer des informations confidentielles dans le cadre d’un débat judiciaire contradictoire, certains acteurs économiques préféraient renoncer à s’engager dans un contentieux. La directive de 2016 répond à cet impératif : permettre de doter les entreprises européennes d’une protection efficace contre des demandes judicaires mal attentionnées de concurrents internationaux. En cela, la directive, et donc la loi qui la transpose, ne peut qu’être saluée. « Peut-être », diront les détracteurs du texte, mais c’est à la condition que la législation nouvelle n’aboutisse pas à bâillonner ceux qui, à titre professionnel (journalistes) ou privés (lanceurs d’alerte, salariés), cherchent à dénoncer le comportement illicite de certaines entreprises. Leur crainte est qu’elles puissent désormais utiliser la nouvelle législation pour soustraire artificiellement les informations qu’elles souhaitent cacher au débat public. Que dit la loi ? En l’état du texte adopté, qui en cela reprend servilement la directive, pour être couverte par le secret des affaires, une information doit revêtir certaines conditions. Elle doit « être connue par un nombre restreint de personnes », « revêtir une valeur commerciale, effective ou potentielle » et faire l’objet de « mesures de protection raisonnables pour en conserver le caractère secret ». S’agissant des exceptions au secret, il est prévu que celui-ci « n’est pas opposable lorsque l’obtention, l’utilisation ou la divulgation du secret est requise ou autorisée par le droit de l’Union européenne », notamment « pour exercer le droit à la liberté d’expression et de communication, y compris le respect de la liberté de la presse, et à la liberté d’information ». Par ailleurs, il a été prévu que l’invocation de manière dilatoire ou abusive du droit au secret peut être sanctionnée par une peine d’amende civile. On verra sous peu ce que décideront les Sages, mais, à notre sens, l’essentiel des critiques adressées au nouveau texte le sont, en réalité, à la directive, laquelle s’impose tant au législateur français qu’au Conseil constitutionnel. Sur ce point, quoi qu’on veuille en penser, le match était déjà joué. Pour le reste, il nous semble qu’il faut faire confiance aux juridictions qui auront à déterminer les limites de ce droit au secret pour trouver, cas par cas, le « juste équilibre » – selon l’expression même de la Cour européenne – entre les intérêts en présence, comme les y invitent naturellement la lettre comme l’esprit de la réforme ainsi que les débats qui l’ont précédée.