Un an après la disparition de Guy Carcassonne, constitutionnaliste reconnu, Le Monde, la revue Pouvoirs et le Club des juristes lui rendent hommage : le premier prix Guy Carcassonne du meilleur article constitutionnel vient d’être attribué à une jeune doctorante de l’Université de Montpellier.
Le jury était composé de quatre professeurs des Universités : Renaud Dehousse (Sciences-Po), Wanda Mastor (Toulouse), Géraldine Muhlmann (Paris 2) et Sabine Saurugger (Grenoble), deux journalistes du Monde : Gérard Courtois et Patrick Roger, et deux directeurs de la revue Pouvoirs : Olivier Duhamel et Marc Guillaume.
91 articles ont été adressés au Club des juristes. Chaque membre du jury les a lus, sans connaître le nom des auteurs, et les a classés A, B ou C. Au total, 45 articles ont été classés en A.
Après avoir délibéré sur ceux ayant reçu les meilleures appréciations, le jury a décidé, à l’unanimité, d’attribuer le prix Guy Carcassonne du meilleur article à Coralie Richaud, doctorante à l’Université Montpellier 1, pour son article sur Vers un « citoyen 2.0 ».
L’article a été publié dans Le Monde daté du 5 juin 2014 et le prix remis à l’Université de Paris Ouest Nanterre La Défense le 4 juin 2014, lors de l’inauguration de l’amphithéâtre Guy Carcassonne.
L’article lauréat est également publié sur le site du Club des juristes.
Vers un « citoyen 2.0 » ?
Il faut croire que le dicton « Pour vivre heureux vivons cachés » est devenu « ringard »! A l’heure où l’affaire Hollande-Gayet est une question relative à la vie privée pour plus de 77% des français, où l’affaire Edward Snowden scandalise la communauté internationale, Facebook célèbre ses dix ans et atteint le chiffre étourdissant de 26 millions d’utilisateurs en France.
Il est donc désormais courant d’avoir un profil Facebook et très certainement « has been » de ne pas en posséder. Il est pour ainsi dire « tendance » aujourd’hui d’exposer volontairement ses données personnelles, allant de la situation sentimentale et ses nombreuses déclinaisons, aux divers points de vues politiques et religieux. En un mot et en un clic, la sphère privée se retrouve exposée dans la sphère publique par les citoyens eux-mêmes. Avec de nombreuses conséquences : licenciements à la suite de propos exprimés sur Facebook, condamnations pour diffamation sur internet, etc.
Finalement, les réseaux sociaux ôtent les filtres qui sont ceux de la vie en société et permettent aux citoyens cachés derrière leurs écrans d’exprimer, non pas leurs idéaux, mais leurs humeurs personnelles, politiques, religieuses. En un sens, là où le fichier Edwige a échoué, les réseaux sociaux ont réussi. La différence : Edwige était considéré comme liberticide alors que l’inscription sur les réseaux sociaux reste « tendance » !
Accentuant la confusion des sphères privée et publique, les réseaux sociaux et les nouvelles technologies ont réussi le pari d’infiltrer l’intimité jusque-là protégée par le citoyen en collectant avec son accord de nombreuses données personnelles. C’est par exemple la collecte par Apple des empreintes digitales pour les nouveaux Iphone 5S !
Le décalage entre ce que les citoyens refusent d’accepter de la part de l’Etat au nom du respect de la vie privée (écoutes téléphoniques, affaire Snowden, mise en place du programme Prism par la NSA, etc.), et ce qu’ils sont prêts à livrer de leur intimité sur les réseaux sociaux (Facebook, Twitter, Google +, Instagram notamment) marque l’apparition d’une nouvelle figure : le « citoyen 2.0 ».
Évidemment, la conception de ce qui relève du privé est propre à chaque individu, mais comment protéger ce « citoyen 2.0 » de lui-même ? En réalité, l’arsenal juridique et constitutionnel encadrant les abus relatifs à la conservation et la réutilisation des données personnelles au nom du respect de la vie privé ne semble plus adapté aux internautes qui voient dans les réseaux sociaux un cadre propice à la réalisation de leur liberté d’expression aux dépens du respect de leur vie privée.
Ainsi, quand le Conseil constitutionnel encadre strictement l’enregistrement au Fichier National Automatisé des Empreintes Digitales des personnes condamnées pour des infractions particulières le 16 septembre 2010… le « citoyen 2.0 » achète un Iphone 5S ; quand le juge limite le traitement des données à caractère personnel relatives aux infractions, condamnations et mesures de sûreté le 29 juillet 2004… le « citoyen 2.0 » poste sur les réseaux sociaux le procès-verbal de sa condamnation ; enfin quand le Conseil constitutionnel censure la création d’un registre national des crédits aux particuliers pouvant toucher plus de 12 millions de personnes en France le 13 mars 2014… le « citoyen 2.0 » expose sa situation financière sur Facebook !
Un vent de schizophrénie souffle sur la figure du citoyen. D’un coté, le « citoyen 1.0 » demeure attaché aux principes du respect de ses données personnelles et de sa vie privée au travail ; de l’autre, ce même citoyen, version 2.0, est prêt à sacrifier ses droits sur l’autel de la popularité et de l’audience dans les réseaux sociaux. Un « like » du citoyen 2.0 est-il compatible avec un « dislike » du citoyen 1.0 ? La réponse est sur votre profil Facebook !
Coralie Richaud