L’encre de la réforme de la justice au 21ème siècle à peine sèche, la présentation, en mars dernier d’une nouvelle proposition de réforme dite de modernisation a déclenché une vive polémique. Pour le gouvernement, l’ensemble des mesures proposées visent à l’amélioration et la simplification des procédures civile et pénale notamment pour s’adapter au monde numérique d’aujourd’hui. La modernisation ou réorganisation passe, comme toujours, par l’abandon de pratiques antérieures, souvent ancestrales en matière judiciciare. Les robes noires ont manifesté pour dénoncer une réforme traduisant un recul démocratique intolérable, une atteinte au droit à l’accès au juge. Cette critique est révélatrice d’un profond malaise sur la justice en France.
Les opposants à la réforme de la justice dénoncent une politique essentiellement guidée par des impératifs financiers qui piétine les principes fondamentaux. En face d’eux, les tenants de la réforme parlent, à juste titre, d’un impératif de modernisation de la résolution des conflits, d’alternative au procès non pas dans une optique d’économies budgétaires, mais comme la meilleure voie pour garantir les droits. La procédure judiciaire, qu’il s’agisse des procès civils, administratif ou pénaux, est le revers du droit à l’accès au juge. La lourdeur du procès est l’obstacle réel à la reconnaissance de ses droits pour le justiciable. L’accès à la justice est un amplificateur de l’injustice sociale et le manque de moyens de la justice ne fait qu’aggraver les choses.
Mais la justice n’est pas seulement le parent pauvre du budget de l’Etat en France, c’est malheureusement aussi l’oubliée de la Constitution, qui est très peu diserte sur ce que la République attend de ses juges pour servir sa devise de Liberté d’Egalité et de Fraternité.
Or la réforme constitutionnelle annoncée le 9 mai dernier sonne bien encore une fois comme un rendez-vous manqué pour redonner au pouvoir judiciaire un peu plus de lustre dans l’équilibre des pouvoirs en France. Une révision du préambule de la Constitution et des droits fondamentaux, un temps envisagée mais à laquelle il a finalement été renoncé, aurait été l’occasion de le faire. Les mesures annoncées sont finalement techniques.
Il faut noter que la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, ne dit rien sur la justice. Le préambule de la Constitution de 1946, pas plus.
Les historiens du droit expliquent que le mutisme constitutionnel français sur le rôle de la justice dans l’équilibre démocratique et républicain est l’héritage de l’aversion des révolutionnaires aux Parlements d’ancien régime. Si la justice révolutionnaire sans magistrats n’a que peu duré, le rôle subalterne des magistrats, qui ont pourtant la lourde tâche d’interpréter les imperfections de la loi, est cependant demeuré une constante des textes constitutionnels, depuis la constituante.
Dans le sous-titre consacré à l’autorité judiciaire, la Constitution dans sa rédaction actuelle interdit de détenir arbitrairement et de condamner à mort, c’est heureux de le lire. Sinon, les articles 64 et 65 ne visent qu’à concilier le rôle du Président de la République, qui assure l’indépendance de l’autorité judiciaire, avec les prérogatives du Conseil Supérieur de la Magistrature, qui veille au respect de l’indépendance des magistrats du siège. La réforme annoncée du texte constitutionnel, sous le qualificatif d’une démocratie plus responsable, prévoit que les membres du parquet seront nommés sur avis conforme dudit Conseil Supérieur de la Magistrature. Cette mesure est tout au plus une révolution de palais, elle ne changera pas grand-chose à la place de la justice dans notre Constitution traitée comme une institution et non comme un pouvoir.
Le pouvoir judiciaire qui est affirmé comme garant de la démocratie dans d’autres nations, demeure en France disqualifié par la crainte du gouvernement des juges. Il reste que, les jugements ou arrêts sont rendus au nom du Peuple Français et que la Constitution pourrait foder cette affirmation, ce qui remettrait le tribunal au milieu du village.
Quant à l’accès au juge, le Conseil Constitutionnel n’a pu faire qu’avec les moyens du bord. Dans une décision du 23 juillet 1999, visant l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme de 1789 qui veut que « toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a pas de constitution », il a déduit en lisant entre les lignes le principe du droit à exercer un recours effectif.
Alors, pour revendiquer le droit d’accès au juge, c’est sur le fameux article 6 de la Convention de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales qu’il faut s’appuyer. Les avocats en ont fait leur bible : « toute personne a droit à se que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle… »
Il manque donc singulièrement à notre Constitution un bel article sur la justice, non pas traitée comme une simple autorité, mais comme garante de la démocratie et de l’équilibre de la République. Il pourrait dire, par exemple, que la garantie des droits est assurée, notamment, par l’accès à une autorité judiciaire indépendante et impartiale, assurant toute personne d’une décision équitable. La justice en ressortirait grandie et la Constitution serait enfin réconciliée avec le pouvoir judiciaire.
Dans l’optique de la réforme de modernisation de la justice qui s’annonce, il y avait avec la réforme constitutionnelle voulue par le Président de la République une occasion pour que le droit à l’accès au juge prenne la dimension constitutionnelle qui doit être la sienne dans un préambule enrichi, notamment pour faire écho à la Convention de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales. Faire entrer la justice par la grande porte dans la Constitution élèverait le débat. Poser le principe du droit à l’accès au juge permettrait aussi de rappeler avec sérénité que tout ne doit pas être judiciarisé pour que les garanties de droit soient assurées dans une démocratie moderne, qui doit favoriser les solutions alternatives au jugement pour assurer le respect et l’équité des règles.