Une vision opportuniste et moderne du règlement des conflits
De l’émergence des « Deals de Justice » américains[1] à l’évolution rapide de l’arbitrage international, de la médiation et de bien d’autres MARC[2]s, on constate que les entreprises cherchent à résoudre leurs différends autrement qu’en faisant appel au juge étatique. Le temps de la justice et celui du monde des affaires dans une économie mondialisée ne sont plus en phase.
Parmi ces voies, la médiation emporte l’adhésion, au moins sur le papier.
Rapide, une médiation dure rarement plus que quelques jours, quelques semaines au plus. Économique, elle est incomparablement moins onéreuse qu’un contentieux arbitral ou judiciaire. Sécurisée, elle se caractérise par une confidentialité absolue et le maintien du droit au juge, sans perte ni de temps ni de position, en cas d’échec. Adaptée au monde des affaires, elle permet de préserver le lien, voire d’ouvrir d’autres opportunités entre les parties. Enfin, elle ne connait ni gagnant, ni perdant puisque, par définition, si elle aboutit c’est que les parties y trouvent leur compte.
Force est de constater, néanmoins, que son essor reste en deçà des espérances, en France comme ailleurs.
Les travaux de la commission du Club des juristes ont permis de mettre en lumière plusieurs éléments qui peuvent expliquer les réticences des parties et de leurs conseils à entrer en médiation.
D’une part, la polysémie. Sous le vocable de « médiation », on trouve des concepts bien différents et cette confusion n’aide pas. Beaucoup d’acteurs du monde du droit ou de l’entreprise ont entendu parler de la médiation familiale, de la médiation de la consommation, etc., mais c’est la médiation conventionnelle qui est la plus adaptée aux besoins des entreprises au XXIe siècle.
Par ailleurs, l’absence de données nationales sur le nombre et le taux de succès des médiations ne permet pas de bénéficier d’un outil statistique suffisamment pertinent pour démontrer leur efficacité. Le rapport du Club des Juristes fait des propositions en ce sens.
La difficulté à savoir comment bien choisir son médiateur se règle, elle, plus facilement soit en se fiant à certaines filières de formation, soit en passant par un centre de médiation sérieux, comme le CMAP, soit en se renseignant auprès de parties ou d’avocats ayant eu recours à des médiateurs de qualité.
Plus délicate est la question des enjeux de pouvoirs qui, au sein des entreprises ou dans leurs relations avec leurs conseils, peuvent avoir pour effet de dissuader telle ou telle personne, de recommander ou d’accepter une médiation. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, certains peuvent trouver un intérêt personnel à ne même pas évoquer une médiation afin d’éviter d’apparaitre comme manquant de confiance en soi ou en son dossier.
La solution à cette problématique passe par deux voies. D’une part, les dirigeants d’entreprises et leurs conseils seraient fort avisés de faire une analyse multicritères d’un différend avant de déterminer quelle est la meilleure orientation à choisir pour y mettre fin. En effet, dès lors que les coûts, la durée et l’aléa d’un procès sont évalués, rares sont les contentieux qu’un accord ne réglerait pas mieux qu’un procès, bon ou mauvais. D’autre part, dès lors que le contentieux est significatif pour l’entreprise, il est important d’inviter à cette réflexion la direction financière ou le contrôle de gestion. Leur vision des coûts/avantages de la médiation peut non seulement faire basculer la décision en faveur de celle-ci, mais en outre diluer les enjeux de pouvoir qui, entre direction juridique, direction générale, directions opérationnelles et avocats externes, contribuent parfois à empêcher que ne soit prise la bonne décision.
À ce titre on peut légitimement se poser la question de l’éventuelle responsabilité du conseil externe qui n’informerait pas son client de l’existence et des caractéristiques de la médiation avant d’engager un contentieux.
La lecture du rapport du Club des Juristes, qui analyse les freins à la médiation et les remèdes à y apporter, fournira aux lecteurs intéressés un éclairage nouveau sur ces questions.
Par Pierre Servan-Schreiber, avocat aux Barreaux de Paris et de New York, médiateur, arbitre, président de la Commission Médiation du Club des juristes
[1] Cf. « Deals de Justice – Le marché américain de l’obéissance mondialisée » sous la direction de Antoine Garapon et Pierre Servan-Schreiber ; PUF 2013
[2] Modes alternatifs de règlement des conflits