Par un arrêt de 10 décembre 2018, la Cour d’appel de Paris a condamné une banque d’affaires à payer à l’héritier du fondateur du groupe Carrère la somme de 3.790.000 euros à titre de dommages et intérêts, en réparation d’un comportement jugé fautif dans l’exécution du mandat qui avait pour objectif l’adossement à un nouvel actionnaire.
Sans entrer dans le détail de cet arrêt qui décrit une funeste synergie entre la dégradation financière de la société en perte de vitesse et un processus de mise en vente qui s’est éternisé, ce que révèle cette affaire est le risque de désalignement d’intérêts entre une banque d’affaires et son client, lorsque l’on entre dans la zone de turbulence des difficultés financières.
Il ne fait pas mystère que pour obtenir des mandats, les banquiers survendent parfois leur capacité à trouver le bon acquéreur, celui qui valorisera le mieux l’entreprise. Parfois, le Graal annoncé est au rendez-vous. Mais dans certains cas, notamment pour des entreprises peu performantes, il faut faire atterrir ensuite les vendeurs qui trouvent que les candidats acquéreurs ne proposent pas ce qui était attendu. Le banquier se retrouve alors comme un équilibriste. Il doit convaincre son client que la valeur doit s’ajuster à la demande, c’est-à-dire aux offres qu’il a sollicitées. Certes, il doit faire son possible pour tenter d’en améliorer les conditions, mais très vite le banquier se trouve entre deux feux. D’intermédiaire pour le compte d’un vendeur, il doit se transformer en facilitateur, exercice de style très périlleux.
Le dangereux rôle de facilitateur du banquier d’affaires
Dans le cas d’entreprises en difficulté, le danger est encore plus grand, car le banquier d’affaires doit convaincre son client vendeur dont l’appétence à la cession peut s’émousser très vite, alors que les acquéreurs n’ont aucune raison d’améliorer une proposition, qu’ils jugent comme celle d’un sauveur dont devrait se louer le vendeur.
Et puis, l’intérêt de l’entreprise qui joue parfois sa survie, celui des créanciers qui défendent leurs intérêts, viennent singulièrement complexifier la mission du banquier d’affaires, confronté alors à de multiples pièges pour éviter d’être pris dans un conflit d’intérêts, voire pire, à l’accusation d’un manque de loyauté dans l’exécution de sa mission, comme cela a été jugé par la cour d’appel de Paris qui indique : « Il ressort de la chronologie des faits qu’en 2006, alors que la société ne connaissait pas de difficulté, la banque a échoué à trouver un repreneur. En 2008, alors que la situation financière du groupe est dégradée, la banque avait les moyens d’en informer clairement son cocontractant… Elle devait se monter loyale envers son mandant […]ou se retirer en cas de conflit d’intérêts ».
Le M&A dans les contextes d’entreprises en difficulté, qui peuvent s’apparenter à un champ de mines, exige de la part des conseils une prudence extrême. Les banquiers d’affaires doivent se rappeler que la pratique du sacrifice de celui qui apporte la mauvaise nouvelle n’a jamais disparu. Le rôle de facilitateur dans les situations d’entreprise en difficulté n’est pas seulement plus compliqué, il est très dangereux.