Est-ce le narcissisme naturel des avocats qui explique la profusion des classements, des trophées et autres palmarès qui les mettent à l’honneur dans toutes les branches et sous branches du droit, lesquelles peuvent se décliner jusqu’à l’infini ? Sans doute un peu.
Il y en a pour tous : le nombre de champions, ténors du barreau de sa catégorie est juste impressionnant. De nombreux avocats relaient leur distinction – parfois payante – sur les réseaux sociaux. Je ne m’exclue pas du lot, il m’est arrivé de le faire plusieurs fois…
Mais pas seulement.
Une tendance venue d’outre-Atlantique
Le marché de la distinction professionnelle, de plus en plus porteur, favorise une multiplication de classements. A la frontière du journalisme et du publi-rédactionnel, ces palmarès sont d’ailleurs, pour les avocats, un des seuls outils de marketing qu’ils peuvent utiliser sans qu’il leur soit reproché de faire de la publicité. La niche est donc prospère pour une presse à la recherche de revenus.
Des annuaires transnationaux ont compris ce business avant tout le monde. Le volumineux Chambers & Partners , près de 3.000 pages, classe les cabinets européens qui occupe le terrain depuis des décennies. Mieux vaut bien parler anglais pour y figurer en « pole position », «leading firm» ou «leading individual», au risque d’un petit commentaire « Good professional with a colorful character and a Franco French approach ». Il y a aussi le Legal 500, son petit frère, qui comporte une version française un peu moins anglophile.
Les classements de Décideurs et d’Option Droit & Affaires sont plus franco-français. Chacun de ces médias spécialisés se revendique le leader national dans l’observation du monde des avocats. Ils se livrent une bataille sans pitié, jusqu’à se disputer des pigistes pour donner leur vision de la compétition entre confrères du barreau de Paris, mais aussi des barreaux des grandes métropoles françaises qui n’échappent pas à la distinction de stars locales. Ce qui d’ailleurs dénigre un peu leur rang, car ces avocats de province n’ont souvent rien à envier aux avocats parisiens dans leur spécialité.
Les podiums – Best Lawyers , les Trophées du droit, le Palmarès du droit de Paris, et j’en oublie – sont repris par la presse quotidienne qui en fait un marronnier, c’est-à-dire un rendez-vous annuel, au même titre que le classement des grandes écoles.
Le palmarès GQ des 30 avocats « les plus puissants de France » est, quant à lui, un peu le must. Le magazine people insiste allègrement sur la puissance des personnalités citées. Or, la plupart des avocats de ce classement ont aussi un immense talent…
Même l’hebdomadaire Le Point s’y est mis. Pour la seconde fois, une enquête sur « Les meilleurs cabinets d’avocats » vient d’être publiée et la liste des élus s’est allongée pour ne pas faire de jaloux. Et, comme pour le Guide Michelin, chacun a des étoiles. Le palmarès des cabinets d’avocats « les plus recommandés en France » comprend plus de trente spécialités allant du droit du travail jusqu’au droit pénal des affaires , en passant par le droit immobilier. Surtout, si vous n’êtes pas un familier du droit, ne vous trompez pas de spécialité au risque de confondre la star de ce dont vous avez besoin avec celle qui fait autre chose….
L’importance de la notoriété
On peut se réjouir de cet intérêt que suscite la profession d’avocat lorsque l’on est du métier. On peut aussi se résigner et se dire que ce type de classements et d’événements, qui mettent à l’honneur des professionnels concerne la quasi totalité des activités économiques. Mais voilà, je préfère rester critique, ce qui est le propre de l’avocat. Comme pour les impôts, trop de classements tuent le classement.
Je préfère aussi me faire provocateur, au risque d’être déclassé, en imaginant que l’antidote à cette profusion de classements pourrait être, comble de l’ironie, un classement des classements. Il permettrait de mesurer leur sérieux et de s’y retrouver dans les contradictions d’autant de publications qui, au final, débouchent sur une population, où tout le monde est plus ou moins champion.
Mais tout ceci n’est finalement pas si grave. Le classement ne remplacera jamais la notoriété de l’avocat. Celle-ci se bâtit sur de nombreuses années de pratique et de succès et fait que si le client a besoin d’un avocat, il sait où le trouver.
Par Frédéric Peltier, avocat à la cour, associé du cabinet Dethomas Peltier Juvigny & Associés, expert du Club des juristes.