Les sociétés cotées, régulièrement impliquées dans des procédures antitrust pouvant se solder par des amendes record (plus d’un milliard d’euros imposé à Daimler par la Commission européenne en juillet), font face à des choix difficiles en matière d’information du marché compte tenu de la confidentialité de ces procédures.
Qu’elle soit à l’initiative de la procédure, par une demande de clémence, ou simplement attraite à celle-ci, la société doit s’interroger rapidement sur la façon de concilier ses obligations boursières d’information et de confidentialité en matière de concurrence. En effet, si les autorités boursières (comme l’AMF ou la SEC aux États-Unis) imposent fréquemment aux sociétés de divulguer au marché toute information permettant un investissement éclairé quant à leur valorisation, les autorités de concurrence sont, elles, soucieuses de préserver la confidentialité de leurs enquêtes, du moins tant que la liste des entreprises impliquées n’est pas arrêtée.
Ces frictions entre le droit boursier et le droit de la concurrence, déjà connues au moment de la saga Schneider/Legrand, sont particulièrement fortes lorsque la société cotée est demandeur de clémence car la révélation de l’existence de la procédure antitrust peut entraîner la perte du bénéfice de la clémence (immunité ou réduction d’amende). Lorsqu’une entreprise est « involontairement » impliquée dans une procédure antitrust (cartel ou abus de position dominante), l’interrogation existe mais le calendrier et le contenu de l’information du marché sont généralement différents.
En l’absence d’indication claire des autorités concernées et d’harmonisation des deux droits sur les modalités pratiques de cette information, il est difficile pour les sociétés de déterminer si, quand et comment il est nécessaire de communiquer au marché. Pour compliquer encore l’équation, toutes les autorités de concurrence ne communiquent pas, ou du moins pas au même moment, l’identité des entreprises impliquées.
De leur côté, les entreprises doivent également se prononcer sur la pertinence du passage d’une provision comptable anticipant le risque d’amende. En pratique, elles attendent souvent de se voir notifier des griefs par l’autorité de concurrence pour le faire ce qui les oblige, par suite, à communiquer au marché l’existence et l’objet de la procédure. Pour un demandeur de clémence, conscient de sa probable condamnation, l’information pourra être donnée à un stade plus précoce, notamment en cas de rumeur persistance, mais uniquement avec l’accord de l’autorité de concurrence et sans mention de sa qualité de demandeur de clémence.
Au vu des enjeux financiers (et réputationnels) croissants attachés aux enquêtes antitrust et de l’influence de certaines informations sur la valorisation des sociétés cotées, il serait souhaitable que ces dernières disposent de guidelines précises leur permettant de concilier le respect des obligations leur incombant en matière de droit boursier et de droit de la concurrence. Il est en effet nécessaire que l’inconfort croissant créé pour les sociétés cotées du fait de la multiplication des enquêtes antitrust entraîne une nouvelle évolution positive du Droit. L’avenir nous le dira.
Jacques Buhart Avocat aux Barreaux de Paris et Bruxelles, expert du Club des juristes,
et Lionel Lesur Avocat aux Barreaux de Paris et Rome, membre de la Commission Droit de la concurrence et participations minoritaires du Club des juristes, tous deux chez McDermott Will & Emery