La transposition de la directive « restructuration » : un parcours du combattant
Alors que l’harmonisation des droits en matière de faillite paraissait impensable, une directive a été adoptée le 20 juin 2019. Le temps de sa transposition est venu. Il faut saluer le progrès accompli : elle tend à améliorer l’efficience et la compréhension mutuelle des États membres en la matière mais l’arbre ne doit pas cacher la forêt et les difficultés soulevées sont pléthore. On insistera ici sur certaines d’entre elles.
Tout d’abord, il serait paradoxal que cette directive, largement inspirée dans son esprit du droit français, ait pour effet pervers de bouleverser notre philosophie du traitement des difficultés ; même si on comprend qu’un nouvel équilibre des pouvoirs des créanciers et du débiteur doive être trouvé dans un souci d’une plus grande convergence des droits nationaux.
Si littéralement la transposition n’impactera que la sauvegarde et – par souci de cohérence – le redressement judiciaire, les craintes sont fortes que les procédures préventives amiables soient, in fine, affectées. Cela serait d’autant plus regrettable que, selon le tribunal de commerce de Paris, 85% des mandats ad hoc et conciliations aboutissent à un accord et le nombre d’emplois préservés est deux fois plus important qu’en procédure collective.
D’ailleurs, la sauvegarde a pour utilité en pratique de favoriser les accords de conciliation. Or, si l’on donne davantage de pouvoirs aux créanciers, ils risquent de ne plus négocier en amont, voire de se détourner de la conciliation… La prudence s’impose, sauf à créer une nouvelle procédure préventive intermédiaire, entre la conciliation et la sauvegarde, au détriment de la lisibilité et de la simplification de notre droit.
Ensuite, comment la directive va-t-elle s’appliquer aux PME, qui représentent pourtant 99% du tissu entrepreneurial de l’Union ? Certes, la directive les vise expressément à plusieurs reprises mais l’idée en filigrane est presque toujours de renvoyer aux droits nationaux ; ce qui d’une part, interpelle fortement sur la vocation d’une directive destinée finalement aux seules grandes structures… et d’autre part, il est vrai, rassure devant la complexité de certains dispositifs, si novateurs soient-ils. La directive en a bien conscience lorsqu’elle rend la constitution des classes facultative ou encore envisage une classe unique pour les PME en son considérant 45. Comment alors mettre en œuvre le principe du meilleur intérêt des créanciers ? Qui supportera le coût des expertises nécessaires à la détermination de la valeur de l’entreprise ? Le traitement ne doit pas tuer le patient. De même, en cas d’échec dans l’adoption du plan, quid du maintien de la règle de la consultation individuelle des créanciers et de la faculté pour le tribunal d’imposer des délais sur 10 ans ? L’inquiétude est légitime car ces règles du droit interne ne s’inscrivent pas dans l’esprit de la directive.
Enfin, on ne saurait rester indifférent devant certaines zones d’ombres. La levée de la suspension des poursuites individuelles laisse perplexe. Elle n’est acceptable qu’à condition de ne pas risquer de compromettre la restructuration de l’entreprise ; notamment, elle ne saurait s’appliquer pendant les quatre premiers mois de la période d’observation afin de ne pas en perdre l’effet salvateur.
Point central, la répartition en classes de créanciers permet de prendre en compte l’endettement réel de l’entreprise. Mais le dispositif ne fonctionnera que si on laisse aux débiteurs et praticiens – sous le contrôle du tribunal – une grande souplesse dans leur constitution, sur la base d’une communauté d’intérêts fondée tant sur les droits et garanties dont disposent les uns et les autres que sur leur capacité à être payés en cas de liquidation.
Reste encore ouvert le grand débat du sort des actionnaires… Quant aux créanciers publics, cette transposition pourrait être l’occasion d’ouvrir franchement le débat sur l’alignement de leur sort sur celui des autres créanciers à l’instar de l’Allemagne ou de l’Angleterre.
Par Anne Outin-Adam, directrice des politiques juridiques et économiques de la CCI Paris-Île-France, experte du Club des juristes et Aruna Soogrim, responsable de l’Observatoire consulaire des entreprises en difficulté de la CCI Paris Île-de-France.