Arbitrage international et preuve face aux accusations de corruption
Actori incombit probatio. En arbitrage international aussi, la preuve incombe au demandeur.
Les faits susceptibles de revêtir une qualification pénale, à l’instar de la corruption, comptent indiscutablement au titre de ceux dont on pourrait attendre qu’ils requièrent un standard de preuve particulièrement élevé.
Alors qu’ils ont évidemment pour obligation de ne pas donner effet à une convention qui violerait l’ordre public, les tribunaux arbitraux ont pu exiger face au grief d’une corruption, une preuve « claire et convaincante, plus forte qu’une simple prépondérance », voire une preuve « au-delà du doute raisonnable ». En pratique, cette exigence a conduit de nombreux tribunaux à rejeter ces allégations.
Cependant, les actes de corruption, parce qu’ils sont par essence dissimulés, sont difficiles – voire impossibles – à démontrer.
Pour pallier cette difficulté, l’arbitrage international s’est appuyé sur une technique probatoire spécifique. Elle admet que l’arbitre puisse, pour caractériser la violation de l’ordre public international, se déterminer sur la base d’un faisceau d’indices constituant une suspicion suffisamment lourde pour inciter à priver d’effet ou annuler la convention. La génération d’une présomption portant sur la caractérisation d’une infraction pénale fera sursauter le pénaliste.
En effet, lorsque ces indices sont au rouge, chacun constitue alors un « red flag », soit un fait circonstancié pour laisser envisager suffisamment une corruption et en définitive la présumer. C’est alors à celui qui la conteste qu’il appartiendra de prouver l’absence de tout pacte de corruption, avant d’exiger que le contrat ne soit exécuté.
Cette présomption ne pourra cependant être admise par le tribunal arbitral qu’à la condition que plusieurs indices graves, précis et concordants soient constitués, pointant dans la même direction.
On voit ici qu’une rhétorique à laquelle les pénalistes sont habitués s’invite dans la pratique de l’arbitrage.
Ainsi, la cour d’appel de Paris juge qu’en présence d’allégations de corruption, le tribunal arbitral ne peut sanctionner la violation effective et concrète des dispositions d’ordre public prévenant ou réprimant la corruption qu’en présence d’indices graves, précis et concordants démontrant suffisamment que la sentence attaquée a pour portée de donner effet à un contrat issu d’une corruption (CA Paris Pôle 1-1, 16 mai 2017, République démocratique du Congo c. Société Customs and Tax Consultancy LLC).
Précisant sa jurisprudence, la cour d’appel de Paris, après avoir à nouveau admis que la caractérisation d’un contrat de corruption peut résulter d’un faisceau d’indices, a listé les « red flags » susceptibles d’être pertinents, notamment l’absence ou l’insuffisance de production de documents, l’insuffisance de moyens matériels et humains du contractant au regard de l’importance des diligences revendiquées, et la rémunération au pourcentage (CA Paris Pôle 1-1, 10 avril 2018, Société Alstom Transport SA et autre c. Société Alexander Brothers.).
La pratique de l’arbitrage révèle néanmoins que l’admission des « red flags » demeure essentiellement casuistique. Un même critère aura une force probante différente selon les cas.
En définitive, la caractérisation d’un pacte de corruption reste l’apanage des juridictions pénales. Les tribunaux arbitraux décideront en revanche de ne pas donner effet à, ou d’annuler, une relation contractuelle dont il est suffisamment démontré qu’elle est porteuse d’une lourde suspicion de contrariété à l’ordre public international.
La digue de la présomption d’innocence n’a donc pas cédé, des garde-fous étant essentiels à la confiance des acteurs économiques dans la stabilité et la sécurité de la vie des affaires, dans le respect de l’ordre public international.
Par Gaëlle Filhol, avocate associée et Martin Pradel, avocat associé chez Betto Seraglini, partenaire du Club des juristes.