Les incidences des propositions tendant à réformer la prescription en matière pénale sur la délinquance d’affaires.
La question de la prescription de l’action publique ne cesse de préoccuper les juridictions pénales et de donner lieu à certaines solutions jurisprudentielles contestables et difficilement compréhensibles. Il faut bien reconnaître que le domaine, qui subit le plus souvent les effets d’une telle jurisprudence, est celui du droit pénal des affaires. Ayant recours au critère de dissimulation ou au caractère clandestin de certaines infractions, les juges répressifs reculent constamment le point de départ de la prescription dans de nombreux secteurs.
Une intervention législative s’impose donc afin de mettre fin à l’instabilité et à l’incohérence jurisprudentielles toujours regrettables en matière pénale.
On pourra faire observer que, jusqu’à présent, toutes les propositions tendant à modifier les règles de la prescription ont été vouées à l’échec.
Dans la continuité de ces efforts, une mission d’information parlementaire, composée de MM. A. Tourret et G. Fenech, a formulé, dans un rapport enregistré à l’Assemblée nationale le 20 mai 2015, quatorze préconisations, suivies d’une proposition de loi portant réforme de la prescription en matière pénale.
Parmi les différentes suggestions, on pourra isoler celles ayant des incidences sur les infractions du droit pénal des affaires. Plus précisément, selon la proposition n° 5, le délai de prescription de l’action publique et de la peine devrait être porté à six ans en matière délictuelle. Le rapport d’information indique que cette évolution devrait permettre «de faciliter la répression des délits les plus graves et les plus complexes à poursuivre, notamment en matière économique et financière». A notre avis, il serait plus logique d’instaurer deux délais différents de prescription, en tenant compte du critère de gravité des délits, comme c’est le cas dans plusieurs pays européens.
En outre, la proposition n° 10 tend à «donner un fondement législatif à la jurisprudence relative au report du point de départ du délai de prescription de l’action publique des infractions occultes ou dissimulées au jour où l’infraction est apparue et a pu être constatée dans des conditions permettant l’exercice de l’action publique». Et la proposition de loi, enregistrée à l’assemblée nationale le 1er juillet 2015, précise ce qu’il faut entendre par infraction «occulte» et «dissimulée». S’agissant, en particulier, de la notion d’infraction «occulte», il faudrait, à notre sens, préciser dans le texte qu’entre dans cette notion l’infraction qui, en raison de ses composantes, ne peut être connue ni de l’autorité judiciaire, ni de la victime, selon les éléments dont celle-ci dispose. Une telle formule pourrait mettre fin à une jurisprudence, rendue en matière d’abus de confiance, qui n’hésite pas à reculer le point de départ du délai de prescription au jour où la victime a effectivement découvert l’acte de détournement, et non à celui où elle disposait des éléments nécessaires permettant de le découvrir. Cette jurisprudence est contestable, car elle laisse essentiellement le mécanisme de la prescription, qui est d’ordre public, entre les mains de la victime.
Par ailleurs, la proposition n° 12 mérite une attention particulière, puisque elle tend à préciser la notion d’acte interruptif de prescription, en y faisant entrer les actes d’enquête et ceux émanant de la personne exerçant l’action civile, y compris les simples plaintes déposées par les victimes d’infractions. Il faut bien reconnaître qu’un tel dispositif mettrait un terme à certaines solutions jurisprudentielles ayant admis la prescription de l’action publique, en refusant tout effet interruptif à de simples plaintes dénonçant des faits susceptibles de constituer des abus de biens sociaux.
Enfin, on pourra se demander sur la pertinence de la proposition n° 14 tendant à inscrire à l’article préliminaire du Code de procédure pénale le principe de l’interprétation stricte des dispositions encadrant la prescription. On rappellera que, s’agissant des lois pénales de fond, ce principe est expressément consacré par l’article 111-4 du Code pénal, ce qui n’empêche pourtant pas les juges d’interpréter largement des textes répressifs, comme en témoignent certaines solutions rendues dans le domaine du droit pénal des affaires.