Le 20 novembre 2013, la cour d’appel de Paris a considéré que le plaignant devant l’Autorité de la concurrence était libre d’utiliser les pièces du dossier de l’Autorité dans le cadre d’une action indemnitaire, sans que cela constitue une violation du secret de l’instruction (*). Avec cet arrêt, la cour d’appel va encore plus loin que dans son arrêt Semavem de 2010, puisqu’il ne s’agit plus, cette fois, de garantir « l’exercice des droits de la défense », mais bel et bien de signer un blanc-seing au plaignant pour utiliser les pièces du dossier d’instruction à l’appui de son action en réparation. Certes, la cour d’appel précise que le plaignant doit démontrer que la production de ces pièces est nécessaire à l’exercice de ses droits, sans pour autant préciser la teneur d’une telle démonstration.
Rappelons par ailleurs qu’un tiers à la procédure devant l’Autorité peut bénéficier de la même latitude que le plaignant en termes d’accès au dossier puisque la loi du 20 novembre 2012 autorise l’Autorité à transmettre des pièces de son dossier d’instruction au tribunal qui lui demande (article L.462-3 du Code de commerce).
Ces dispositifs conduisent à une inflation des actions en réparation au détriment de la protection du secret des affaires et surtout augmentent le risque d’incohérence entre « public » et « private enforcement », en cas de procédures parallèles devant l’Autorité de la concurrence et une juridiction de droit commun. Sur ce dernier point, le projet de loi Hamon sur les « class actions » à la française est beaucoup plus raisonnable, puisqu’il n’autorise l’action de groupe en matière de concurrence que sur le fondement d’une décision définitive d’une autorité de concurrence (« follow-on action »).
Le projet de directive européenne sur les actions en dommages et intérêts va également dans ce sens et prévoit que les juridictions nationales ne peuvent ordonner la divulgation de preuves établies au cours d’une procédure antitrust qu’une fois que l’Autorité de concurrence a adopté sa décision. Espérons donc que, par mesure de cohérence, le législateur français vienne calquer son dispositif d’accès au dossier sur le timing de la procédure « actions de groupe » même si cela ne viendra pas pallier les atteintes au secret de l’instruction allégrement validées par les tribunaux.
Jacques-Philippe Gunther, avocat à la cour, Willkie Farr & Gallagher, expert du Club des juristes
Faustine Viala, avocat à la cour, Willkie Farr & Gallagher