Crèches de Noël dans les mairies : la laïcité sur mesure.
Les crèches, antiques symboles liés aux fêtes de Noël et à la liesse qui les accompagne, sont aujourd’hui un facteur de discorde citoyenne. Le 9 novembre, le Conseil d’Etat a tranché l’épineuse question de leur présence dans les mairies. D’un côté, les tenants d’une stricte conception de la laïcité faisaient valoir que de telles manifestations à connotation religieuse n’avaient pas leur place dans les sièges du pouvoir de la République. De l’autre, il était prétendu qu’au fil des temps les crèches avaient été intégrées au folklore populaire de Noël et qu’à ce titre elles ne revêtaient plus d’aspect prosélyte. Libres penseurs contre défenseurs du santon, l’opposition pouvait sembler anecdotique. Ce serait oublier qu’en France, en matière de laïcité, rien ne l’est jamais.
A l’aune de l’hystérie causée cet été par la controverse du burkini, il est clair que la question de la présence de crèches dans les mairies posait en réalité celle, infiniment plus complexe, des rapports de notre pays avec son héritage religieux. Comment autoriser les crèches dans l’espace républicain sans que certains y voient un privilège donné à une religion par rapport à une autre ? Dans une France gangrenée par la montée des communautarismes et la peur de l’islamisme radical, la régulation des signes religieux n’a jamais été aussi sensible. La solution rendue est le fruit de ces enjeux contradictoires. Le Conseil d’Etat a prudemment privilégié une approche casuistique. Il raisonne en plusieurs temps. D’abord, il constate que la crèche de Noël appartient tant à l’iconographie chrétienne qu’aux décorations et illustrations traditionnelles des fêtes de fin d’année. Ensuite, de sa nature hybride il déduit qu’elle ne peut être installée par une personne publique dans un emplacement public, sauf si elle présente un caractère culturel, artistique ou festif qui s’appréciera en fonction des usages locaux ainsi que du lieu, du contexte et des conditions de son installation. Enfin, pour l’application de sa solution il distingue selon le lieu envisagé. Dans l’enceinte d’un siège d’une collectivité publique ou d’un service public, comme une mairie ou une école, l’installation d’une crèche n’est en principe pas conforme au principe de neutralité, sauf si des circonstances particulières le permettent. En revanche, dans les autres emplacements publics, comme la rue ou les places, en considération du caractère festif des fêtes de fin d’année, son installation est licite, sauf si elle constitue un acte de prosélytisme ou de revendication d’une opinion religieuse.
Pure solution de compromis, cette décision se garde bien d’apporter une réponse de principe à la question posée. Le Conseil d’Etat a préféré établir un mode d’emploi concret qu’il appartiendra aux tribunaux d’apprécier localement, cas par cas. Tout est donc affaire de mesure. La crèche traditionnelle et monumentale de la mairie d’Avignon ne devrait pas être traitée de la même manière que celle, en litige, de la municipalité de Melun qui, selon les éléments du dossier, ne résultait d’aucun usage local et ne s’insérait aucunement dans un environnement artistique, culturel ou festif particulier. En évitant de se prononcer frontalement, le Conseil d’Etat prend, certes, le risque d’une grande imprévision dans l’application future de sa solution. Mais pour frustrante que puisse apparaitre à certains cette approche, il était en pratique difficile de faire mieux. Pour la motiver en droit on pouvait, certes, s’interroger, comme l’a fait le Conseil d’Etat lui-même, entre le « non, sauf… » et le « oui, à condition… ». Mais, dans un cas comme dans l’autre, il est certain qu’une solution plus tranchée n’aurait fait qu’attiser l’opposition des parties à la polémique quand le juge administratif avait, lui, pour volonté de concilier les intérêts qu’elles défendaient. Juger d’un litige, c’est aussi savoir l’apaiser.