Les tensions entre Amazon et Hachette sur le livre numérique ne sont pas exemptes de confusions intellectuelles, de négociations douteuses, d’interventions maladroites et d’embarras des autorités de concurrence.
Concernant tout d’abord le prix du livre numérique, Hachette préconise qu’il soit substantiel et différencié alors qu’Amazon souhaite un prix faible et uniforme. Le groupe américain soutient que si le prix du livre digital baissait de US$ 14,99 à US$ 9,99 aux Etats-Unis, ses ventes augmenteraient de 74%. En réalité, les éditeurs soupçonnent Amazon de vouloir utiliser le livre digital comme produit d’appel, ce dont se défend la société qui prétend vouloir le rendre compétitif face aux autres médias digitaux.
Face à la crainte de réduction des revenus des éditeurs et des auteurs, Amazon souligne qu’ils avaient déjà cru, à tort, que le livre de poche cannibaliserait leur fond de commerce. Et fait valoir que la diffusion digitale est une innovation qui profite à nombre d’auteurs qui n’auraient pu être édités dans le circuit traditionnel.
Toutes les techniques de négociations sont-elles pour autant permises ? Dès 2012 une entente anticoncurrentielle entre Apple, Hachette et d’autres éditeurs pour imposer une tarification des livres digitaux contrôlée par les éditeurs fut condamnée par le Département américain de la Justice. Hachette mobilise désormais auteurs et politiciens pour dénoncer Amazon.Pour imposer de nouvelles bases contractuelles à Hachette, Amazon a supprimé les rabais, allongé les délais de livraisons et limité certains stocks en faisant miroiter des rémunérations supérieures à ses auteurs. «Faire du chantage aux éditeurs en restreignant l’accès du public aux livres de leurs catalogues pour leur imposer des conditions commerciales plus dures n’est pas tolérable», avait réagi Aurélie Filipetti en rappelant la position Française selon laquelle un livre « n’est pas un produit comme un autre».
La ministre a même «qualifié» les pratiques d’Amazon d’ «abus de position dominante», oubliant que ni la question de la définition du marché, préalable indispensable à une qualification juridique, ni la caractérisation de l’abus de puissance d’achat ne sont évidentes et que l’objet du droit de la concurrence n’est pas la protection du pluralisme mais celle du consommateur. De son côté, le vice président de la commission européenne Joaquin Almunia a déclaré vouloir «regarder de près cette affaire» sans toutefois ouvrir une enquête. Le Bundeskatellamt, est, par ailleurs saisi des pratiques d’Amazon. En revanche, le Département américain de la Justice a refusé de lancer une procédure contre Amazon pour le déréférencement de Macmillan Publisher, estimant qu’il s’agissait d’une négociation commerciale privée visant à faire baisser les prix.
La bataille qui oppose Amazon et Hachette nous semble d’autant plus stérile qu’elle prend en otage respectivement les lecteurs et les auteurs. L’analyse économique suggère pourtant qu’ils devraient avoir un intérêt commun : respecter l’intérêt des consommateurs dont il est fort peu question.