Liste d’initiés – Un nouvel éclairage sur la liste d’initiés ?
Pour la première fois, la Commission des sanctions de l’AMF (Comm. sanctions AMF, 30 janv. 2023, SAN-2023-02, Sté Terreis) a sanctionné un émetteur pour non-respect de la réglementation quant à la tenue d’une liste d’initiés sur le fondement de l’article 18 du règlement « MAR » relatif aux abus de marché. Rappelons qu’en vertu de cet article, lors d’une opération de M&A, une société cotée est tenue d’établir une liste d’initiés, de notifier les personnes inscrites sur celle-ci de leur inscription et de recueillir de ces dernières qu’elles reconnaissent les obligations et conséquences qui en découlent. Rappelons également qu’une liste d’initiés doit comporter, outre des informations sur l’information privilégiée à l’origine de la liste, des informations d’un niveau de détail certain s’agissant des initiés. On comprend aisément l’intérêt de certaines de ces informations pour des enquêteurs : elles facilitent grandement leur tâche dans la recherche de la preuve afin notamment d’identifier plus facilement les échanges entre les protagonistes.
Par ailleurs, l’exigence d’un horodatage de l’appréhension par la personne en cause de la qualification d’initié constitue un moyen détourné pour les enquêteurs de renverser la charge de la preuve, procédé très utilisé par la poursuite devant la Commission des Sanctions de l’AMF.
Ainsi, la preuve qu’une personne est initiée serait rapportée du seul fait de son inscription sur une liste.
Les initiés devant figurer sur la liste de l’émetteur sont évidemment les employés de l’émetteur au courant de l’information privilégiée, ainsi que « tous les tiers agissant au nom et pour le compte de l’émetteur ». Or, sous prétexte de protéger les personnes sur la liste, leur inscription servirait de ce fait à faciliter leur mise en cause. S’agissant des autres parties et de leurs conseils, elles demeurent bien évidemment tenues de respecter la réglementation relative aux opérations d’initiés, mais n’ont aucune obligation de se soumettre à la lourdeur de la tenue d’une liste d’initiés.
La Commission des sanctions de l’AMF a infligé une sanction de 350 000 € à l’émetteur pour manquements aux obligations relatives à la tenue et à la mise à jour d’une liste d’initiés. Par cette sanction, la Commission privilégie une approche formelle et entend imposer un strict respect des dispositions de la position/recommandation AMF de 2016-08, ce qui démontre un réveil aussi tardif que surprenant.
On relèvera la position exprimée par le Collège de l’AMF dans cette affaire selon laquelle il est attendu de toute personne notifiée de son inscription sur une liste d’initiés qu’elle signe un engagement de confidentialité. Cette position va au-delà de ce que dit l’article 18.2 du règlement MAR, lequel n’impose à l’émetteur que de prendre « toutes les mesures raisonnables » pour s’assurer de ces personnes qu’elles « reconnaissent par écrit les obligations légales et réglementaires correspondantes [à leur inscription] et aient connaissance des sanctions applicables (…) ». Il n’est donc pas question d’engagement de confidentialité dans la réglementation applicable, la nuance mérite d’être soulignée. Il a été également reproché à l’émetteur d’avoir inscrit sur sa liste des tiers qui n’avaient pas vocation à y figurer.
De toute évidence, cette décision constitue un signal « pédagogique » aux émetteurs en imposant une notion plus extensive que celle qui découle de la pratique reconnue et même des textes applicables, afin de faciliter la tâche des enquêteurs. Cela a été récemment le cas en matière de franchissements de seuils dans une espèce ou les sanctions prononcées sont difficilement explicables alors pourtant que la jurisprudence, y compris européenne, rappelle régulièrement les limites fixées par les lois applicables.
Cette décision impose donc aux opérateurs des exigences dépassant le cadre réglementaire, ce qui revient à transformer les émetteurs en auxiliaires de la Direction des enquêtes de l’AMF.
Patrick Jaïs, avocat associé de Pardieu Brocas Maffei, expert du Club des juristes