Chaque fois qu’une personne exposée médiatiquement est mise en cause dans une procédure pénale, elle ne manque jamais de se battre avec pugnacité pour se voir octroyer le discret statut de « témoin assisté » et éviter celui – plus suggestif – de « mis en examen ». A fortiori pour éviter de passer du premier au second pendant le cours de l’instruction.
Christine Lagarde, mise en cause dans le volet ministériel des investigations pénales relatives à l’arbitrage Tapie, n’a pas échappé à la règle lorsqu’elle a elle-même annoncé, le 27 août, qu’à l’issue de sa quatrième audition en tant que témoin assisté devant la commission d’instruction de la Cour de justice de la République, elle venait d’être mise en examen, mais qu’elle allait engager un recours contre cette décision.
Pour autant, cette évolution de son statut qui pourrait en apparence laisser croire à une aggravation des charges établies contre elle au cours de l’instruction – la mise en examen présupposant l’existence d’indices graves ou concordants rendant vraisemblables la commission d’un délit – n’est probablement pas au fond une si mauvaise nouvelle pour l’avenir judiciaire de l’ancien ministre.
Certes, certains seront tentés de voir dans cette mise en examen intervenue à un stade avancé de l’instruction une orientation vers la position finale de la commission d’instruction. Mais une telle conclusion serait pour le moins hâtive. Un témoin assisté ne peut en effet en aucun cas être renvoyé devant une juridiction de jugement. Dès lors, ne pas mettre en examen une personne potentiellement mise en cause, c’est pour la juridiction d’instruction s’interdire définitivement toute possibilité de renvoi, faculté dont la Cour de justice de la République n’a pas voulu se priver à ce stade, ce qui n’affecte en rien sa liberté de rendre ultérieurement un non-lieu.
Mais au-delà de ces considérations purement procédurales, c’est le périmètre même de la mise en examen qui vient au soutien de l’ancien ministre, et ce pour deux raisons distinctes mais complémentaires.
Tout d’abord, le fondement de celle-ci (i.e. les faits qui lui sont reprochés et l’incrimination retenue) n’a rien à voir avec la gravité de ce qui est reproché aux autres mis en examen dans le volet non ministériel, lesquels sont poursuivis du chef d’escroquerie en bande organisée. Surtout sa mise en examen n’a pas été décidée pour « complicité de faux et de détournement de fonds publics », comme cela avait été initialement évoqué, puis abandonné, lors de sa première audition.
Le fondement de sa mise en examen est en effet l’article 432-16 du Code pénal, lequel sanctionne d’une peine maximale d’un an d’emprisonnement et de 15.000 € d’amende, certains responsables publics (dont les ministres) qui ont commis une négligence ayant permis la destruction, le détournement ou la soustraction de fonds ou objets publics.
Cette infraction, ancienne et quelque peu désuète, est très rarement utilisée dans les poursuites contre les responsables publics tant elle apparaît vénielle et anecdotique au regard de l’infraction de détournement de fonds publics, dont elle est indissociable.
La jurisprudence relative à ce délit de négligence en est d’ailleurs une parfaite illustration : les quelques décisions rendues renvoient le plus souvent à des agents publics de rang subalterne pour la disparition de biens matériels (par exemple, un secrétaire de mairie pour la disparition d’un registre d’état civil).
Ensuite, et surtout, les circonstances particulières de l’arbitrage Tapie rendent difficilement concevable qu’une décision soit prise concernant l’éventuel renvoi de l’ancien ministre sans qu’ait été jugé préalablement si cet arbitrage est ou non constitutif de manœuvres délictueuses. Que l’on imagine un instant le renvoi de Christine Lagarde pour négligence à l’occasion de cet arbitrage alors que la procédure concernant le volet non ministériel du dossier aboutirait ultérieurement à une décision écartant toute infraction…
Or, dans la mesure où la procédure sur le volet non ministériel du dossier n’en est elle-même qu’à la phase d’instruction, il ne manquera pas de s’écouler de très nombreuses années avant qu’elle ne donne lieu à une décision définitive, et que puisse alors se poser la question de savoir si la seule hypothèse de juger Christine Lagarde est ou non intellectuellement concevable.
Un renvoi de l’ancien ministre est donc des plus incertains et même des plus improbables. Rarement une mise en examen n’aura dégagé un tel parfum de non-lieu.