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Jurisprudence

Le projet de réforme sur « la justice du XXIe siècle » ou lorsque la montagne accouche d’une souris

Tout a été dit sur l’état de décrépitude de notre justice ; ce constat fait l’objet d’un large consensus et le Garde des Sceaux lui-même, non sans quelque ingénuité, reconnaît avoir découvert une institution « sinistrée ».
Cette triste réalité est d’autant plus problématique que le droit, dont la justice est l’instrument, s’impose comme un des outils majeurs de la régulation dans les sociétés post modernes.
L’archaïsme de notre justice apparait plus choquant encore dans notre monde bouleversé par la révolution informatique, et dont la donne a été radicalement changée, spécialement dans l’accès aux services publics comme dans la capacité de ceux-ci de s’acquitter de leur mission ; l’inefficacité de la justice, le déficit chronique de confiance dont elle est l’objet sont d’autant plus néfastes qu’elle constitue un des piliers de l’Etat confronté au péril du terrorisme islamiste.
C’est dire combien l’on attendait une réforme ambitieuse de nature à refonder un système à bout de souffle ; le choix de l’intitulé de la réforme « la justice du XXIe siècle » paraissait traduire une telle ambition.
Il a fallu déchanter. La réforme se résume à un catalogue de mesures à la marge, sans véritable cohérence et insusceptibles de sortir notre justice de l’ornière où le temps, le mépris des gouvernants et l’activisme d’une minorité de juges politisés l’ont précipitée.

On se doit de rappeler que les dispositions du projet visent à la fois, selon le ministère, à « améliorer la justice du quotidien » et à « faire progresser les droits des justiciables ».
Dans le maigre catalogue qui en découle, certaines dispositions apparaissent frappées du bon sens, telle la mesure phare du projet – c’est tout dire – qui apporte une simplification notable en matière de divorce par consentement mutuel en permettant le divorce sans juge. Les conjoints, représentés par un avocat dont la présence garantit la sauvegarde de leurs intérêts, s’accorderont sur une convention qui sera enregistrée, moyennant une somme modique chez un notaire et après un délai de rétractation de 15 jours le divorce prendra effet. Cette mesure contribuera, même modestement, à désengorger les juridictions et ne présentera aucun danger pour l’enfant, dont l’intérêt qui doit primer, sera préservé dès lors que si celui-ci souhaite être entendu, c’est le juge aux affaires matrimoniales qui prononcera le divorce, comme par le passé.
Dans un autre ordre d’idées, confier le PACS et le changement de prénom aux maires ou encore faciliter le changement de sexe se révèle opportun même si l’on a quelque mal à y voir la traduction d’une ambition réformatrice.
Doit aussi être approuvée la volonté de faciliter les actions de groupe, qui ne trouvaient à s’appliquer depuis 2014 que dans le domaine de la consommation, à ceux de la santé, des discriminations, de l’environnement et des données personnelles. Cette procédure garantirait, outre l’accès plus facile à la justice par le biais d’associations agréés qui se chargeraient de piloter ces actions, la sécurité juridique résultant du regroupement de nombreuses affaires devant une même juridiction placée en mesure de leur apporter une solution identique.
Dans le domaine pénal la même démarche prudente consiste à punir par une amende forfaitaire, sans avoir à passer devant le tribunal, sauf en cas de récidive, le conducteur dépourvu de permis. En effet, et au delà de cette mesure ponctuelle, il faudra bien finir par admettre que toute sanction n’implique pas nécessairement l’intervention judiciaire ; avec un peu d’audace on aurait pu aller plus loin en embrassant la matière des infractions à la circulation en ne faisant plus intervenir le juge que dans le cadre d’un recours, dans des cas bien définis, contre la décision qui serait prise en amont, à un autre stade que le sien.
La mesure conduisant à supprimer les tribunaux correctionnels pour mineurs est plus complexe à appréhender en raison de ses aspects idéologiques et politiques dès lors que l’on se souvient que ces tribunaux correctionnels avaient été créés sous le quinquennat précédent. Deux courants de pensées s’affrontent à cet égard : d’une part, celui qui soutient que le mineur délinquant doit toujours être traité dans un cadre qui privilégie la rééducation sur la sanction, d’autre part, celui qui considère qu’il faut en finir avec un certain angélisme et que lorsque les mesures éducatives ont échoué, la dangerosité du mineur et l’intérêt public priment et imposent de recourir à la peine. Il convient de souligner que les tribunaux correctionnels pour mineurs ne jugeaient que les mineurs récidivistes de moins de 16 ans au moment des faits, pour des délits punis de plus de 3 ans d’emprisonnement, ce qui ne représentait que moins de 1% des mineurs délinquants, c’est-à-dire ceux qui se révélaient insensibles à la démarche éducative ; on ne peut non plus passer sous silence le fait que des mineurs sont parfois impliqués dans des actes de terrorisme, ce qui est de nature à corroborer l’idée d’une précocité et d’une dangerosité plus grande chez certains jeunes qu’elle ne l’était dans le passé.
Le dernier volet significatif de la réforme, plus d’ailleurs au regard de ce qu’il choisit de ne pas dire, concerne « la transparence des magistrats ». Même si le phénomène de corruption paraît étranger au corps judiciaire, il était normal de transposer à ceux-ci le dispositif de la loi sur la prévention des conflits d’intérêts dans la vie publique. La déclaration d’intérêts pour les juges à laquelle s’ajoutera celle du patrimoine pour les chefs de juridictions constitue une garantie pour les justiciables, de nature à renforcer la confiance dans la justice comme pilier de l’état de droit. Mais traiter de la transparence des magistrats en faisant l’impasse sur les récente dérives d’un syndicalisme judiciaire qui a conduit au lamentable épisode du « mur des cons » qui a choqué la France entière en ce qu’il remettait en question les fondements mêmes de la justice qui requiert des juges neutralité et indépendance, constitue un oubli révélateur lorsqu’on parle de transparence.

Bref, là où l’on attendait des réformes structurelles de la justice , assurant la sécurité juridique par une formation et un recrutement rénovés des juges, par la création de structures judiciaires répondant mieux à la nécessaire spécialisation d’un côté et à la proximité de l’autre, par le rappel d’une déontologie des juges compatible avec le procès équitable, par l’adoption de mesures fortes en faveur de la médiation qui est une autre forme de justice fondée sur l’esprit de compromis et la responsabilisation, le maigre catalogue des mesures préconisées ne saurait tenir lieu de réforme. La justice attendra encore pour rentrer dans le XXIe siècle.

Jean-Claude Magendie

Jean-Claude Magendie

Magistrat, Premier président honoraire de la Cour d'Appel de Paris
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