Le 11 septembre dernier, la Cour de cassation a élargi le préjudice d’anxiété à toute substance nocive ou toxique. Ce revirement jurisprudentiel soulève de nombreuses questions.
La réparation du trouble psychologique tenant à l’angoisse permanente face au risque de développer une maladie a été reconnue pour la première fois le 10 mai 2010 aux seuls retraités de l’amiante dont l’entreprise figurait sur une liste établie par arrêté ministériel.
Ce cantonnement était strict si bien qu’un salarié exposé à l’amiante d’une entreprise non listée ne pouvait se prévaloir d’un préjudice d’anxiété. En revanche, les salariés non exposés directement à l’amiante tel qu’un comptable d’un site classé dont le bureau était totalement isolé de l’outil de production pouvaient se voir reconnaître un préjudice d’anxiété.
Cette restriction quant aux salariés éligibles s’accompagnait toutefois d’une réparation automatique du préjudice d’anxiété. Le montant de la réparation de l’anxiété était de 26 millions d’euros entre 2010 et 2018 répartis entre 2.318 bénéficiaires, soit en moyenne, 11.000 euros par salarié.
Un revirement jurisprudentiel indispensable
Cette jurisprudence souffrait de telles incohérences qu’un revirement devenait inéluctable.
Le 5 avril 2019, la Cour de cassation admet qu’un salarié justifiant d’une exposition à l’amiante avec un risque élevé de développer une maladie grave peut agir contre son employeur en manquement à son obligation de sécurité, peu important que son entreprise soit listée ou non. Le 11 septembre dernier, le préjudice d’anxiété a été élargi à toute substance nocive ou toxique .
Le manquement à l’obligation de sécurité est désormais érigé en fondement de l’action en réparation du préjudice d’anxiété. Le salarié doit apporter la preuve de l’exposition, du manquement à une règle de sécurité et que ce manquement a généré un préjudice personnel, actuel et certain d’anxiété.
Il appartient alors à l’employeur de démontrer qu’il a pris « toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs ».
La prévention des risques est désormais au coeur du préjudice d’anxiété. En effet, 1,8 million de salariés sont encore exposés à au moins un produit cancérigène.
Des questions en suspens
Que recouvre la notion de « substance nocive ou toxique » ? S’agit-il de matières entraînant une maladie professionnelle, d’agents cancérigènes ou de substances mutagènes ou toxiques pour la reproduction ? Est-ce la porte ouverte à toute demande ? De même, quel est le point de départ du délai de prescription de l’action devant le juge ? Quelles preuves l’employeur devra-t-il apporter pour justifier que le salarié a eu connaissance du risque et que son action est prescrite ?
Les retraités de l’amiante continueront-ils à bénéficier du régime favorable de preuve dont ils disposaient jusqu’à présent ? Enfin, si le salarié doit désormais apporter des preuves tangibles pour démontrer son anxiété, faudra-t-il un suivi médical ou les attestations de proches suffiront-elles ?
Beaucoup de questions restent en suspens. Les décisions à venir nous le diront. Pour autant, employeurs ne négligez pas votre obligation de prévention !
Par Virginie Devos, associée et Ghislaine Zaïdi, avocate chez August Debouzy, partenaire du Club des juristes.