Peut-on se taire lors d’une audition devant l’Autorité des marchés financiers (AMF) ? La question se pose avec d’autant plus d’actualité que la loi sur la garde à vue impose désormais de notifier leurs droits à toutes les personnes faisant l’objet de cette mesure, et notamment celui de se taire. Parallèlement, le droit à bénéficier d’un procès équitable est protégé par l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) est garante de son respect. Pour la CEDH, toute personne à l’encontre de laquelle existent des indices laissant penser qu’elle a participé à la commission d’une infraction a « le droit de se taire lors d’un interrogatoire de police et le droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination ».
Or, le Code monétaire et financier, dans ses dispositions pénales relatives à l’AMF, réprime le fait « pour toute personne de mettre obstacle à une mission de contrôle ou d’enquête de l’Autorité des marchés financiers effectuée dans les conditions prévues aux articles L. 621-9 à L. 621-9-2 ou de lui communiquer des renseignements inexacts. ». Cette infraction est punie de deux ans d’emprisonnement et d’une amende de 300.000 € (article L. 642-2, loi n° 2003-706 du 1 er août 2003). Il est vrai que la jurisprudence n’est pas abondante en matière de condamnations ou de mise hors de cause sur ce fondement.
Le dispositif législatif semble néanmoins peu cohérent dans la mesure où il peut conduire à ce qu’une personne faisant l’objet d’une audition dans le cadre d’une investigation pénale et dans le cadre d’une procédure devant l’AMF se voit rappeler, d’un côté, qu’elle a droit au silence et, de l’autre, que ce silence pourrait être considéré comme une volonté de faire obstacle à une mission de contrôle ou d’enquête…
Ce dispositif apparaît d’autant plus incohérent lorsque l’on examine la chronologie de ces procédures démarrant le plus souvent devant l’AMF. Ainsi, la personne interrogée dans le cadre d’une procédure devant l’AMF se prononce nécessairement avant que le droit de se taire ne lui soit rappelé dans le cadre de la procédure pénale.
Or, le droit de se taire apparaît d’une importance moindre dans le cadre de la procédure pénale, où la personne placée en garde à vue est désormais nécessairement informée de la nature de l’enquête et de la date des faits poursuivis, alors que, dans le cadre de la procédure AMF, les griefs n’ont pas encore été énoncés. Et même si l’on considère que le droit de se taire dans le cadre d’une procédure de l’AMF ne constitue pas un obstacle à la mission de contrôle, le véritable intérêt du droit au silence porte sur l’exigence de protéger la personne en cause de toute déclaration qui pourrait contribuer à sa propre incrimination dès lors qu’on ne lui a pas encore notifié les griefs retenus contre elle.
Il semble d’ailleurs étonnant que les textes applicables, comprenant notamment la charte de conduite des missions de contrôle sur place et la charte de l’enquête, rappellent le délit d’entrave à la mission de contrôle ou d’enquête de l’AMF sans pour autant ni en préciser le contour ni mentionner le droit de se taire.
Néanmoins, il faut avoir à l’esprit qu’il est de l’intérêt des personnes auditionnées de s’expliquer au plus tôt et de fournir tous les éléments nécessaires afin d’assurer le bon déroulement de l’enquête.
Muriel Goldberg-Darmon,, Les Echos
EXPERT DU CLUB DES JURISTES, AVOCAT ASSOCIÉE, SALANS
Ludovic Malgrain,, Les Echos
AVOCAT ASSOCIÉ, SALANS