« Investi de la mission de faire respecter au sein de la communauté de travail l’ensemble des libertés et droits fondamentaux de chaque salarié, l’employeur peut prévoir dans le règlement intérieur (…) une clause de neutralité interdisant le port visible de tout signe politique, philosophique ou religieux sur le lieu de travail, dès lors que cette clause générale et indifférenciée n’est appliquée qu’aux salariés se trouvant en contact avec les clients ».
L’intérêt de l’arrêt rendu par la Cour de Cassation le 22 novembre 2017 dépasse largement l’affaire en cause. Une ingénieure informatique travaille voilée chez un important client, qui se plaint auprès de son employeur : demande de retrait du voile, refus suivi d’un licenciement pour faute. Or le souhait d’un client ne constitue pas une « exigence professionnelle essentielle et déterminante » permettant de déroger à l’interdiction des discriminations issue de la directive du 27 novembre 2000 avait dit pour droit la CJUE le 14 mars 2017 à propos de cette même affaire.
Mais quittant le point de vue aujourd’hui habituel, celui des droits de la personne au travail qui a depuis vingt ans supplanté notre droit collectif du travail, la Cour replace légitimement l’affaire dans son contexte : la « communauté de travail » que constitue aussi une entreprise, où 82% des salariés veulent « avoir la paix » sur ces questions faisant surréagir car touchant à des convictions profondes, et voient d’un mauvais œil ce qui peut mettre en cause la santé de la société, et donc leur emploi.
Que faire ?
Initier une modification du règlement intérieur reprenant la formulation de cet arrêt, et notre prémonitoire article L. 1321-2-1 issu de la loi du 8 août 2016 : « Le règlement intérieur peut contenir des dispositions inscrivant le principe de neutralité et restreignant la manifestation des convictions des salariés si ces restrictions sont justifiées par l’exercice d’autres libertés et droits fondamentaux ou par les nécessités du bon fonctionnement de l’entreprise et si elles sont proportionnées au but recherché ». En n’ignorant pas, dans les groupes internationaux, les conséquences que peut avoir l’édiction d’une telle règle, culturellement bien différente de celles d’autres pays.
Le principe étant la liberté religieuse dans l’entreprise privée, il faudra justifier cette restriction par « la volonté d’afficher, dans les relations avec les clients tant publics que privés, une politique de neutralité politique, philosophique ou religieuse » évoquée par la CJUE. Puis limiter l’interdiction aux collaborateurs en contact avec la clientèle, afin que ces restrictions soient proportionnées au but recherché.
Sans oublier la procédure d’information-consultation du comité d’entreprise puis le contrôle de l’inspecteur du travail, sous le regard du juge administratif : mais ce dernier est également lié par l’interprétation de la CJUE.
Cet arrêt ne vise que le « port de signes visibles » mais on pourra utilement se reporter au très complet « Guide du fait religieux en entreprise » publié en janvier 2017 et mis en ligne par le Ministère du Travail (travail-emploi.gouv.fr/droit/guide-du-fait-religieux-dans-les-entreprises-privees).
Laïcité dans les services publics et neutralité dans l’entreprise privée : les deux faces d’une même volonté de faire société.