Après bien des péripéties, la loi visant à reconquérir l’économie réelle dite « Florange », a été publiée au JO du 1er avril 2014. Son champ est vaste, mais on se concentrera ici sur les dispositions qui ont suscité la saisine du Conseil constitutionnel en particulier celles relatives à l’obligation de rechercher un repreneur. Mesure phare, à n’en pas douter de par son poids social et politique, une entreprise ou un groupe d’au moins 1000 salariés qui envisage la fermeture d’un établissement avec pour conséquence un projet de licenciement économique, a l’obligation d’informer les salariés, de rechercher un repreneur et de donner une réponse motivée à chacune des offres de reprise reçues. Pour en arriver là, ce texte est passé sous les fourches caudines du Conseil constitutionnel qui a censuré le 27 mars 2014 une bonne partie du dispositif.
Rien moins que 108 sénateurs et 80 députés ont saisi le Conseil des sages, contestant 3 articles du texte adopté par le Parlement. Deux ont été jugés conformes à la Constitution : ceux renforçant l’information et la consultation du comité d’entreprise en cas d’attribution d’actions gratuites aux salariés ou encore lors d’une offre publique d’acquisition.
Abordons maintenant le point-clé, à savoir la nouvelle obligation pour le chef d’entreprise de rechercher un repreneur en cas de fermeture de son établissement alors qu’il est viable. On rappellera qu’on part de très loin : dans une première mouture, la proposition de loi envisageait une obligation de cession dès lors qu’un repreneur présentait une offre sérieuse. Mais, après consultation du Conseil d’Etat, cette obligation initiale de résultat – affrontant trop frontalement les principes fondamentaux de la liberté d’entreprendre et du droit de propriété – s’est muée en obligation de moyens, l’employeur étant seulement tenu de « rechercher » un repreneur et de justifier de son éventuel refus de répondre à une offre sérieuse, et non plus d’en « trouver » un… La nuance est de taille. Plus précisément et après le passage devant le Conseil constitutionnel, le mécanisme tend à :
- L’information des salariés au travers des représentants du personnel sur le projet de fermeture d’établissement, sur les actions envisagées pour trouver un repreneur et les possibilités pour les salariés de déposer une offre de reprise ;
- L’information, par tous moyens appropriés, des repreneurs potentiels de l’intention de l’entreprise de céder l’un de ses établissements ; la rédaction d’un document « formalisé » de présentation ; l’accès à toutes informations nécessaires aux entreprises candidates, exceptées celles dont la communication serait de nature à porter atteinte aux intérêts de l’entreprise ou mettrait en péril la poursuite de l’activité de l’ensemble de l’entreprise (point validé par le Conseil constitutionnel) ; l’examen des offres de reprise ; la réponse motivée à chacune des offres reçues ;
- L’information du comité d’entreprise des offres de reprise « formalisées » sur lesquelles il peut émettre un avis ;
- La saisine du tribunal de commerce par le comité d’entreprise s’il estime que l’entreprise n’a pas respecté ses obligations d’information ou qu’elle a refusé de donner suite à une offre considérée comme sérieuse ;
- La vérification par le tribunal de commerce de la conformité de la recherche aux obligations légales (on précisera que le Conseil constitutionnel a censuré les autres items concernant le caractère sérieux des offres de reprise et l’existence d’un motif légitime de refus de cession – à savoir, là encore, la mise en péril de la poursuite de l’ensemble de l’activité de l’entreprise)
Quant aux sanctions en cas de non-respect de ces obligations, il n’y en a plus…, la pénalité de 20 fois le smic par salarié licencié avec un plafond de 2 % du chiffre d’affaires ayant été aussi invalidée par le Conseil.
En l’occurrence, ce dernier a rendu une décision juridiquement rigoureuse sans parti pris idéologique entre capital et emploi. Elle est destinée sans nul doute à faire date.
Sur les obligations d’information à la charge de l’employeur lors de la recherche d’un repreneur, il estime qu’il n’y a aucune atteinte disproportionnée à la liberté d’entreprendre, dès lors que n’est pas imposée « la communication d’informations (…) susceptible d’être préjudiciable à l’entreprise cédante… ».
L’enjeu est capital, il en va de la confidentialité, voire du secret des affaires. Et si le Conseil constitutionnel a répondu dans sa grande sagesse, il laisse une interrogation très sensible derrière lui : qui va décider du caractère confidentiel ou non de l’information ? Certainement le juge. Mais la solution apparaît pour le moins antithétique avec la volonté affirmée de laisser le chef d’entreprise maîtriser le risque économique de son activité.
Sur le refus de cession en cas d’une offre sérieuse, motivé par la mise en péril de la poursuite de l’ensemble de l’activité de l’entreprise et selon les hauts Magistrats de la rue de Montpensier « le juge [n’a pas] à substituer son appréciation à celle du chef d’une entreprise, qui n’est pas en difficulté, pour des choix économiques relatifs à la conduite et au développement de cette entreprise ».
La réponse est remarquable, car les sages avaient probablement un autre moyen de censurer le texte en s’attachant à une violation du principe de légalité des délits (et des peines) qui implique d’énoncer en des termes suffisamment clairs et précis la prescription dont est sanctionné le manquement (art. 8 et 9 de la Déclaration de 1789). Or, la notion d’offre de reprise « sérieuse » ne semble pas vraiment satisfaire cette exigence…
La réponse est implacable, personne ne peut priver le dirigeant de la liberté de sa stratégie, qui seul peut fixer les buts et moyens de sa gestion. Elle ne surprend pas : elle est dans la droite ligne de la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Tel était déjà le sens de la décision « Loi de modernisation sociale n° 2001-455 DC du 12 janvier 2002 » qui censurait l’encadrement trop excessif du motif économique de licenciement, entre autres dans l’hypothèse de la sauvegarde de la compétitivité. L’analogie est ici incontournable.
Sur les sanctions en cas de non-respect des obligations de recherche d’un repreneur : conséquence logique, la pénalité maximale de 20 fois le smic dans la limite de 2 % du chiffre d’affaires, ne concernant plus que l’absence de respect des obligations de recherche et de consultation, a perdu la plus grande part de sa cause. Et le Conseil constitutionnel ne pouvait qu’en déduire le « caractère manifestement hors de proportion avec la gravité du manquement réprimé ».
Dès lors, qu’on ne s’y trompe pas : pour ceux qui souhaiteraient par hasard reprendre l’ouvrage, quel que soit le dispositif imaginé, le chef d’entreprise restera fondamentalement libre de procéder aux arbitrages économiques au nom de sa liberté d’entreprendre. En cela, au-delà du raisonnement juridique, la décision du Conseil doit être approuvée au plan économique tant il s’agit aujourd’hui d’encourager les investisseurs notamment étrangers, à poursuivre, voire à s’engager dans un projet industriel en France.
Anne Outin-Adam, Directeur des politiques législatives et juridiques à la CCI Paris Ile-de-France ; Co-présidente de la Commission Europe du Club des juristes