Une clarification vertueuse dans le cadre de la réforme du droit des contrats
La réforme du droit des contrats a conduit à une modification et un renforcement des pouvoirs d’intervention du juge.
Il y a ici une double évolution qui peut apparaitre contradictoire entre les dispositions favorisant la liberté contractuelle et ces pouvoirs accrus du juge en matière de prix, d’imprévision et d’exécution.
Afin de prendre en compte la difficulté ou l’impossibilité de fixer le prix lors de la conclusion, l’article 1163 nouveau du Code civil pose clairement le principe que, si la prestation doit être « possible », « déterminée ou déterminable », le prix n’a pas à être fixé (sauf pour certains contrats particuliers).
Pour la détermination du prix, la jurisprudence a d’ores et déjà dégagé des critères. Le juge retient « la qualification professionnelle« , « la qualité du travail fourni« , « l’importance des services rendus« , bien évidemment la difficulté de la réalisation de cette prestation et sans doute également les principes Unidroit et ceux du droit européen avec la notion de prix « raisonnable« .
Pour les contrats cadres et de prestation de service le créancier a la possibilité de fixer le prix unilatéralement. En matière de contrat cadre, la loi prévoit que le créancier doit justifier du prix en cas de contestation, et si le débiteur considère que ce prix est abusif il pourra saisir le juge afin de se voir allouer des dommages et intérêts et, dès lors qu’un contrat cadre est par nature un contrat à exécution successive, il pourra également être demandé la résolution du contrat.
Pour les contrats de prestations de service – si le prix n’est pas fixé avant l’exécution de la prestation – le juge peut également être saisi d’une demande en dommages et intérêts dès lors que le débiteur le considèrerait abusif.
Le rôle du juge est ainsi clarifié et la loi devient beaucoup plus lisible poussant les parties à trouver un accord, faute de quoi ils se soumettent à la fixation ou au contrôle du prix par le juge.
Le dispositif est complété par le concept d’imprévision et ses conséquences qui sont maintenant introduits dans la loi française par l’article 1195 du Code civil.
La loi définit l’évènement qui permet à un cocontractant de demander la renégociation des termes contractuels et éventuellement la résiliation, comme un évènement imprévisible lors de la conclusion du contrat et qui rend l’exécution de celui-ci excessivement onéreuse. Sont ainsi exclus les difficultés passagères, les évènements à caractère prévisible lors de la conclusion du contrat, pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque.
Faute d’accord des parties soit sur l’adaptation du contrat ou sur la fin de celui-ci, le juge peut alors intervenir pour rééquilibrer le contrat ou y mette fin en fixant la date et les conditions de ce terme.
La même interrogation nait quant aux critères qui seront utilisés par le juge pour rééquilibrer le contrat et qui ne pourront se recouper exactement avec ceux utilisés en matière de fixation de prix. Il aura aussi la possibilité d’avoir recours à un expert pour déterminer les implications économiques de l’évènement à l’origine de sa saisine.
Le créancier peut enfin obtenir du juge qu’il force l’exécution de l’obligation ou de faire réaliser l’obligation par un tiers sous le contrôle du juge.
La seule condition à cette exécution en nature tient à avoir mis en demeure le débiteur de l’obligation sauf si l’exécution est impossible, ou s’il existe une disproportion manifeste entre le coût de l’exécution pour le débiteur et son intérêt pour le créancier.
Le juge devient garant de l’efficacité réelle du contrat. Selon l’usage qui sera fait par le juge du « coût disproportionné », la théorie de « l’efficient breach of contract » pourrait apparaitre en droit français et la jurisprudence fixera la mesure de l’audace accordée aux parties.
L’émergence et la codification des pouvoirs du juge donnent au droit contractuel une lisibilité juridique et une efficacité plus importante. Elles poussent à la vertu contractuelle en précisant clairement les sanctions de l’imprécision de rédaction et en orientant vers la négociation raisonnable – éventuellement sous la conduite d’un médiateur choisi – faute de quoi les parties risquent de perdre la maîtrise du contrat.
Guillaume Forbin, Avocat associé chez Altana, partenaire du Club des juristes