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Journalistes : le secret des sources est-il un leurre?

Secret des sources. Sur le papier, l’expression a du panache. Contrairement à l’avocat qui -secret professionnel oblige -est obligé de se taire face à une demande de dévoilement d’une information confidentielle, le journaliste « peut », éventuellement, refuser de révéler l’identité de sa « source ». Et cette liberté, légalement consacrée en 1993 puis renforcée par la loi du 4 janvier 2010, trône tel un trophée sur le piédestal de l’article 2 de la loi de 1881 sur la liberté de la presse : « Le secret des journalistes est protégé dans l’exercice de leur mission d’information du public ». « Il ne peut donc, poursuit le texte, être porté directement ou indirectement atteinte au secret des sources (…) ».

Ainsi, « si le journaliste fait l’objet d’une écoute téléphonique, la transcription des conversations enregistrées ne doit pas comprendre les propos permettant d’identifier une source journalistique », souligne Jacques-Henri Robert, professeur émérite de l’université Panthéon-Assas, expert du club des juristes.

Innombrables exceptions
Toutefois, stoppé dans son élan par la suite de l’article 2, le droit absolu à la protection des sources s’incline devant un «impératif prépondérant d’intérêt public ». Cette notion à géométrie variable, légitimant l’immixtion du judiciaire dans les méandres de l’enquête journalistique, ouvre la porte à d’innombrables exceptions. «Lorsque le droit français ne formule pas une interdiction concrète, on s’engouffre dans l’espace libre laissant place à la subjectivité », note Jean-Yves Le Borgne, vice-bâtonnier de Paris.

L’autorité judiciaire peut ainsi, comme l’illustre l’affaire Bettencourt, vouloir percer le secret lorsque les documents exploités par le journaliste proviennent d’une infraction pénale. La violation du secret professionnel d’un magistrat est d’une gravité telle qu’elle justifie, dans des cas exceptionnels, qu’il soit porté atteinte au secret des sources, a dit la Cour d’appel de Bordeaux dans son arrêt du 5 mai 2011.

Creusant un trou béant dans la confidence, « l’impératif prépondérant d’intérêt public » fait donc s’écrouler comme un château de cartes le secret des sources là où il serait le plus utile à ses bénéficiaires. Sauf que, destinataire d’une « réquisition judiciaire », le journaliste est libre de faire la sourde oreille et refuser de communiquer les informations sollicitées. Sa situation est à cet égard plus enviable que celle du citoyen lambda qui encourt, en cas de refus, une amende correctionnelle de 3.700 euros. En outre, si l’autorité policière ou judiciaire force le barrage du veto du journaliste, les documents saisis ne seront pas versés au dossier, sous peine d’être annulées.

Qu’en est-il, en revanche, lorsque les réquisitions (visant par exemple les fadettes des journalistes) s’adressent à l’opérateur de télécommunications? L’accord du journaliste est nécessaire, a tranché la Cour d’appel sous le visa de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme et de l’article 2 de la loi sur la presse. En outre, souligne l’arrêt, la plainte relative au manquement déontologique d’un magistrat n’était pas, du fait de son caractère purement hypothétique, un « impératif prépondérant d’intérêt public ». Et la demande visant à identifier les contacts téléphoniques des journalistes susceptibles d’être impliqués dans une éventuelle violation du secret professionnel était trop intrusive au regard de l’impératif poursuivi. La loi exige en effet que les moyens mis en oeuvre (perquisitions, saisies…) soient « strictement nécessaires et proportionnés au but légitime poursuivi ».

Les fadettes ont donc été annulées et ne pourront justifier une éventuelle condamnation de l’informateur et des journalistes du « Monde », sous réserve du visa de la Cour de cassation. Reste que la violation du secret des sources, si elle est reconnue en justice, n’engagera pas la responsabilité de son auteur. Ainsi l’a voulu le législateur, au grand dam des journalistes…

Laurence Neuer, Les Echos
POUR LE CLUB DES JURISTES

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