Alors que la France s’inscrit aux côtés des autres pays européens dans une démarche de protection de ses actifs stratégiques tout en se classant en tête des pays les plus attractifs pour les investisseurs étrangers, la recherche d’un équilibre réglementaire et économique dans le contexte d’une économie fragilisée n’apparaît pas évidente.
La procédure réglementaire de contrôle des investissements étrangers s’inscrit dans un cadre législatif dont le premier article dispose que les relations financières entre la France et l’étranger sont libres, cette liberté ne pouvant être limitée que pour la défense des intérêts nationaux.
Une notion difficile à appréhender
Dans un précédent article relatif à la récente réforme en profondeur de la procédure française de contrôle des investissements étrangers, le luxe, l’alcool et l’immobilier apparaissaient comme les seuls secteurs encore totalement exclus du contrôle des capitaux étrangers. Ces exclusions sont légitimes si l’on admet que le contrôle des investissements étrangers ne peut avoir d’autre objectif que de protéger du danger que représente pour la survie de la nation le transport en des mains étrangères de certaines ressources, technologies, savoir-faire, recherches et données.
Cette conception des intérêts nationaux essentiels invite à ne soumettre au contrôle du ministère de l’Economie que les opérations portant sur des industries satisfaisant aux besoins vitaux, à la santé publique, à la sécurité intérieure et aux intérêts militaires du pays. C’est une conception prudente du rôle de l’Etat.
Mais la crise sanitaire et économique actuelle montre bien la difficulté qu’il y a à appréhender la portée de la notion de protection des intérêts essentiels de la nation. Les biotechnologies ont sans distinction été récemment ajoutées à la liste des activités de recherche et développement portant sur des technologies critiques en France, alors que le caractère essentiel des matériels médicaux dans leur ensemble a paru davantage se mesurer en termes de difficulté d’approvisionnement.
La liste des activités sensibles s’allonge ainsi depuis 15 ans par voie de réaction réglementaire à des situations de dangers successifs. Force est pourtant de constater qu’aucun Etat ne peut anticiper ou pallier seul toutes les situations dans un monde capitalistique libre et économiquement mondialisé.
Créer des outils juridiques méthodiques et sectoriels
Par ailleurs, certaines industries ne tombent pas nécessairement dans le champ de la réglementation sur le contrôle des investissements étrangers et sont pourtant susceptibles de porter des actifs stratégiques, bien que pas nécessairement vitaux pour les intérêts du pays, ou un savoir-faire particulier contribuant largement à son rayonnement.
A l’heure d’une réflexion quant à un « souverainisme réinventé », et sans porter atteinte au principe de libre circulation des capitaux, on peut dès lors s’interroger sur l’opportunité qu’il y aurait à développer des outils juridiques, méthodes et critères sectoriels, permettant à des actionnaires d’entreprises françaises de pouvoir sur une base volontaire, en amont de tout projet de désinvestissement, informer le ministère de l’Economie de la situation concurrentielle potentiellement précaire de leur entreprise au plan national, et ainsi signaler que celle-ci constitue une espèce en voie de disparition sur le territoire et une proie potentielle pour des investisseurs étrangers.
Cette chronique est proposée par le Club des juristes
Par Caroline Ledoux, avocate associée du cabinet Reed Smith, partenaire du Club des juristes.