L’évocation de loi dite « Helms-Burton » américaine réveillera des souvenirs de l’époque Clinton, mais pas de ceux qui ont fait rire les Européens.
Suspendu depuis son adoption en 1996 par une série de décrets présidentiels, le Titre III de cette loi permet la poursuite devant les juridictions fédérales américaines de toute société étrangère qui « trafique » avec des biens dont des propriétaires américains ont été expropriés par le gouvernement cubain. En vertu de ce même Titre III, tous les Cubains qui sont devenus citoyens américains peuvent également agir en indemnisation au titre des biens dont ils ont été expropriés. Etant donné l’ampleur des intérêts économiques américains à Cuba avant la révolution cubaine et la taille de la communauté cubaine exilée aux Etats-Unis, l’enjeu économique est considérable.
Le risque est particulièrement élevé compte tenu de la définition très large donnée par le Titre III au verbe « trafiquer ». Ce terme ne recouvre pas simplement les activités directement en lien avec les biens expropriés (par exemple, une société qui exploite un hôtel confisqué à une société américaine) mais aussi les activités économiques indirectement en lien avec ces biens, accomplies par toute personne qui est ainsi réputée profiter des « trafics » d’autrui (par exemple, une banque qui prête d’argent à une société européenne investissant à Cuba).
La loi permet aux victimes de l’expropriation de réclamer à la société « trafiquante » la valeur totale actuelle du bien exproprié et leur offre la possibilité de réclamer des dommages et intérêts allant jusqu’au triple de cette valeur (équivalant à des « punitive damages ») ainsi que le remboursement des frais d’avocat.
Depuis presque trois décennies, le Titre III était de facto devenu un fait divers historique puisque tous les Présidents américains depuis Bill Clinton avaient, y compris le Président le Donald Trump, ont systématiquement prorogé la suspension de cette voie de recours par périodes de six mois.
Cette période de calme pourrait bientôt s’achever.
Vers une nouvelle stratégie de l’administration américaine
En effet, le 16 janvier 2019, le secrétaire d’Etat américain, Mike Pompeo, a annoncé la remise en cause de la suspension du Titre III : au lieu de continuer à suspendre le titre III pour six mois, l’administration Trump s’est contentée de renouveler la suspension pour une période limitée de 45 jours à partir du 1er février 2019. Le 4 mars 2019, Mike Pompeo a annoncé qu’une nouvelle extension plus limitée encore (de 30 jours seulement) serait accordée, tout en autorisant d’ores et déjà les ressortissants américains à initier des actions en justice contre certaines entités cubaines. Encore plus récemment, le 3 avril 2019, l’administration a annoncé une extension de deux semaines. Cette fois-ci, la suspension de Titre III durera jusqu’au 1er mai.
Nul ne sait ce qui adviendra après cette date.
La France est parmi les dix premiers partenaires commerciaux de Cuba. La vigilance est donc de mise pour les sociétés françaises investissant directement ou indirectement à Cuba depuis deux ans (i.e. le délai de prescription), ou en train d’étudier de tels projets.
Par Jean-Yves Garaud et Aren Goldsmith, avocats aux barreaux de Paris et New York, respectivement associé et senior attorney au sein de l’équipe contentieux et arbitrage international du cabinet Cleary Gottlieb Steen & Hamilton, partenaires du Club des juristes.