Le droit français : un instrument de choix dans les procédures d’insolvabilité transnationales
Industrie, transport, énergie, tourisme, retail, restauration… le COVID-19 a frappé l’économie mondiale de façon inédite. De nombreux grands groupes internationaux privés de liquidités ont été contraints de faire appel aux financements d’urgence (type PGE, CARES Act, etc.). Parfois ils ont été (ou seront) contraints de faire appel aux procédures de prévention ou d’insolvabilité dans plusieurs juridictions simultanément en raison de l’impact généralisé sur le chiffre d’affaires dans plusieurs Etats. Dans ce contexte de difficultés conjoncturelles, dès lors que l’impact sur le crédit n’est pas directement le fait d’un modèle d’entreprise intrinsèquement défaillant mais bien celui d’un évènement de force majeur, le choix du droit français, focalisé sur le redressement du débiteur et la préservation de l’emploi, apparaît comme la meilleure option face aux procédures de droit anglo-saxon pour les entreprises qui présentent un lien de rattachement suffisant avec la France.
Selon une règle de conflit de lois issue de la jurisprudence du droit international privé, la loi applicable à la procédure collective (lex concursus) est celle de la juridiction désignée compétente. Sous réserve des conventions bilatérales et des traités, le débiteur étranger est en principe libre de solliciter l’ouverture d’une procédure de droit français si le centre de ses principaux intérêts (à ne pas confondre toutefois avec la notion de « COMI », « Center Of Main Interests ») est situé en France. Il s’agira du siège social, d’un établissement ou de biens ; l’existence de salariés pouvant également être suffisant pour établir ce nexus avec la France. Le Règlement Insolvabilité de 2015 fait appel à la notion bien établie du COMI pour les entreprises situées dans l’UE (à l’exception du Danemark) pour une procédure principale. Il est également possible d’ouvrir en France une procédure secondaire à la seule condition que le débiteur y possède un établissement.
Les facteurs de l’attractivité française
On a pu lire lors de la réforme des procédures collectives de 2014 que le législateur avait manqué l’occasion de réaligner notre droit sur les standards internationaux, qui tendent à placer la protection des intérêts des créanciers au sommet des priorités du débiteur. Paradoxalement, le droit français, à rebours des conceptions anglo-saxonnes, pourrait aujourd’hui tirer son épingle du jeu en offrant aux entreprises étrangères des outils originaux et variés pour traverser la crise sans compromettre leurs capacités de production. La large place accordée à la prévention (mandat ad hoc ou conciliation), couplée au succès de la procédure de sauvegarde, qui laisse le management aux commandes du débiteur, en font une juridiction attractive pour les entreprises.
La recherche d’un modus operandi transnational
Au-delà, le mille-feuille français du droit des entreprises en difficulté apparaît comme un gage de stabilité et de prévisibilité. Il peut être intéressant pour les débiteurs présents en France de rechercher à bénéficier des effets d’une procédure française dans une juridiction étrangère. C’est ce que permet par exemple le Chapter 15 américain, qui empêche les mesures de poursuite ou d’exécution visant les actifs du débiteur étranger situés sur le territoire des Etats-Unis, sans qu’il ne soit nécessaire d’ouvrir une procédure locale distincte (CGG et Technicolor).
Demain, une normalisation du droit français ?
Les réformes à venir issues de la loi Pacte et de la Directive Insolvabilité, qui entreront en vigueur d’ici l’été 2021, se traduiront par un rééquilibrage de notre droit en faveur des créanciers. Cette évolution est sans doute souhaitable à l’échelle macroéconomique, dans un objectif d’abaissement du coût du crédit. Du reste, elle devrait achever de convaincre les groupes étrangers encore peu rompus au particularisme juridique français en la matière. Toutefois, la recherche de l’équilibre des intérêts devra très scrupuleusement prendre en compte, au-delà des mesures impératives d’urgence instaurées par le gouvernement jusqu’à la fin de l’année, l’impact des effets de la crise actuelle et la nécessité de ne pas affaiblir les atouts du Livre VI du Code de commerce.
Saam Golshani, avocat associé, White & Case, partenaire du Club des juristes et Alexis Hojabr, avocat associé, docteur en droit, White & Case, partenaire du
Club des juristes